mercredi 2 mai 2012

OP1 EP6 : Otaries, fraise et p’tit bleu


 Jeudi 15 heures, sur le bateau, pas un heurt, pas un mot. Le calme règne à bord, le bateau vidé de ses passagers, nombreux hier à se presser, sur le seuil du marchepied, qui mène directement, en deux temps, 3 mouvements, dans l’hélico, puis dans les airs, puis à nouveau, en un saut, à terre. 130 il y a 36 heures, nous étions à midi une petite vingtaine à déjeuner, d’un kilo chacun de ce délicieux magret, coincé entre des pommes paillassons, et un lit de cresson (enfin d’haricots). Cette grande journée tranquille fait très plaisir après 3 jours bien remplis côté médical. En effet, lundi matin, débarque à l’hôpital un campagnard d’été, le visage tordu de douleur. Le faciès vultueux, congestionné par la souffrance. Hummm,… il faudra plonger dans la pharmacie sous clef pour soulager le bougre. Enfin…,  jusqu’au déjeuner, quand entre la poire et le fromage (pour de vrai), on m’appelle car le coco gigoterait dans tous les sens sur sa bannette. En effet, cette fois, j’ai l’impression qu’il va dégonder sa couchette tellement il tressaute. Pas besoin de réfléchir longtemps, il faut employer une méthode plus radicale. J’arpente en effet le pont G avec sous le coude différentes ampoules en verre qui font cling clang et signalent mon arrivée, des tubulures, des flacons, des bouts de ficelle pour suspendre ces perfusions et lui permettre de rester dans sa cabine. C’est aussi l’occasion de quelques travaux pratiques pour utiliser mon automate de biochimie, l’échographe…De quoi s’occuper sans trop se crisper car ces différents examens nous permettent de s’assurer de la bonne vitalité du collègue.
Simultanément, toutes les petits consultations de bord reprennent, en même temps que la mer s’apaise, les passagers sortent progressivement de leurs cabines, comme autant de rescapés. Certains se remettent même à faire différents bricolages sur leurs appareils techniques en vue de la prochaine escale à Amsterdam. Ce qui me vaudra un appel en urgence pour me rendre dans la cabine d’un blessé du doigt ! On grimpe les escaliers au petit trot pour découvrir un grand gaillard, étendu dans sa bannette, inconscient, les bras en croix et les pieds dans une petite tache de sang. Son camarade de chambre et moi blêmissons à l’unisson puis nous ruons sur l’asticot. Ouf, il respire et après une ou deux frictions, reviens à lui…pas trop tôt ! Un bête malaise vagal à la vue du sang, s’échappant, lentement, d’une blessure au doigt, pas plus grosse qu’un petit pois. Pas si facile de rester stoïque sur ce bateau, loin de tout. 

En attendant les affaires courantes continuent à l’hôpital car c’est le moment adoré des inventaires. En effet, nous revenons dans une semaine environ à La Réunion, il faut donc que j’envoie mes commandes, afin de pouvoir ravitailler la pharmacie du bord. C’est toujours acrobatique car le bateau ne reste pas plus de 3 ou 4 jours à quai avant un nouveau départ, cette fois-ci vers Singapour. Pour établir ces commandes, je dois être rigoureux. D’abord m’assurer que les inventaires (gérés par informatique, ouf !) sont justes. Donc, hop ! Un petit saut dans la minuscule pharmacie : autant dire un cagibi dont les 3 murs sont recouverts d’étagères chargées à ras-bord de médicaments. Dans un espace très réduit, les bricoleurs précédents ont réussi à faire tenir le stock d’une vraie garnison. Pas facile donc de dénicher LA boîte qu’on recherche dans une case qui en contient une 50aine. Les inventaires sont toujours un moment désagréable, où, souvent à 4 pattes (les étagères basses sont les plus remplies), on farfouille, balloté par le roulis du navire, gêné par l’atmosphère surchauffée de cette petite pièce borgne. D’incessants allers retours entre l’ordinateur et la pharmacie sont nécessaires, et au fil du temps, la démarche est moins sûre, on se sent un peu nauséeux puis carrément blanc, puis on cherche un haricot ou l’étagère du vogalène si on a été plus prévoyant…Burp ! (ça y est vous avez le mal de mer ?). Bon…c’était la première étape…Maintenant il faut encore « purger les périmés », c'est-à-dire établir la liste des médicaments périmés, les trouver puis les extraire de la pharmacie et enfin valider l’opération sur l’ordinateur. Ensuite (oui, c’est un peu long), on va identifier les « bientôt périmés » : les médicaments encore valables au moins 6 mois que l’on pourra revendre à la pharmacienne ! Même opération, puis il faut aussi les purger du logiciel. Enfin, et c’est là que le miracle de l’informatique intervient, il ne reste plus qu’à cliquer sur « établir une commande », un bouton magique qui va générer automatiquement la commande en fonction du stock nouvellement mis à jour et du stock idéal qu’on lui a indiqué à chaque fois qu’on a enregistré une nouvelle molécule dans son répertoire. Bon ça n’a l’air de rien, mais j’ai toujours un frisson quand la barre « création de votre commande » se remplit doucement. L’effroi que ça ne fonctionne pas…Enfin, ça marche pas mal, et hop me voilà avec la nouvelle commande. Bon il faudra encore quelques étapes pour éliminer les coquilles (il y en a quand même) puis différencier les produits usuels des hospitaliers et envoyer mes deux bons de commandes à la pharmacie en ville et à l’hôpital. Une bonne chose de faite ! 

Nous voilà donc mardi, un peu tard dans la soirée. Je dois encore préparer mes petites affaires ainsi que rassembler tous les cartons pour l’hôpital d’Amsterdam, car nous arrivons enfin au seuil de notre 3ème et dernière étape : l’île de la Nouvelle Amsterdam comme la qualifie une appellation un peu désuète.
Mercredi matin, après un lever très matinal, me voici sur la DZ, attendant mon taxi aérien. L’équipe logistique est au grand complet, arborant leurs pulls et manteaux aux couleurs des TAAF avec leur fonction inscrite au dos, comme une équipe de foot. Toujours les mêmes procédures, la même partition cent fois réécrite…Chacun connaît sa partie par cœur : sortir l’hélico du hangar, lui refixer ses pâles, faire le check up complet, décaler les garde-fous de la plate-forme de décollage, installer le système de décontamination des chaussures (biosécurité), frotter les manteaux, brosser les scratchs, enfiler les gilets de sauvetage autogonflant, attendre par groupe, lancer le monomoteur de l’hélicoptère, attendre deux minutes, surveiller le signe du mécano hélico qui nous demande de nous installer à bord, attendre encore deux minutes la préchauffe, et, …enfin,… décoller ! Ensuite, tout va incroyablement vite, comme si le temps s’était longuement préparé, concentré pour ensuite produire une accélération fabuleuse, digne d’un sprinter : on s’arrache de la DZ, le bateau devient ensuite minuscule, l’hélico grimpe tout en reculant et en amorçant une grande courbe en direction de la base…30 secondes de vol en ligne direct, puis ralentissement, descente, stabilisation, atterrissage ; une équipe sécu nous attend, ouvre les portes, nous aide à descendre, récupère nos sacs, nous conduit à l’écart, récupère nos gilets, nous rend nos paquets…tout ça sans une parole car le bruit du moteur couvre tout et le vent généré par les pâles rajoute encore au vacarme. Puis, instantanément, ce tumulte violent s’évanouit en une seconde. Le calme revient, comme si un ouragan nous avait frôlés puis avait repris sa course un peu plus loin. Enfin, on peut relever la tête et découvrir où l’on est. Aller saluer les îliens, essayer de reconnaitre leurs visages, admirer les longues barbes des plus anciens sur base (sorte de tradition immuable). Mais bon, de mon côté, pas trop le temps de savourer ou traînasser car le compte à rebours a débuté : en effet, avec Joëlle, qui m’attend sur base, nous avons 2 heures chrono pour : - soigner la molaire d’un marin malgache qui m’a accompagné pour ça sur la base, - regarder ensemble l’état des doigts d’un marin réunionnais, récupéré à Amsterdam depuis son bateau de pêche, qui s’est salement amoché deux phalanges - et tenter de réparer un automate de cytologie sanguine. Rude programme !
On attaque par la dentisterie…scène très cocasse sous les yeux médusés de notre patient. En fait, je crois qu’avec Joëlle nous comptions respectivement beaucoup sur l’autre pour gérer cette vilaine pulpite aigüe. Je pensais qu’elle avait eu l’occasion en 3 mois de pratiquer pas mal de dentisterie et elle pensait sans doute que j’avais fait au moins un mois de stage en métropole. Double erreur ! Et nous nous retrouvons tous les deux ce matin bien embarrassés devant le marin souffrant et les multiples boites d’instruments, les commandes du fauteuil dentaire, les innombrables fraises, aux tailles, formes et utilisations variées…Notre patient doit nous trouver peu convaincant ! Enfin, à force de patience et de fouilles, on trouve les instruments qui nous intéressent. On sollicite aussi les conseils téléphoniques de Philippe, notre collègue à Crozet, bien plus à l’aise que nous en dentisterie. Nous voici donc après une bonne demi-heure d’installation, prêt à faire des clichés rétro-alvéolaires, puis pendant qu’un les développe, l’autre encastre les bonnes fraises sur les bons socles : turbine et micromoteur.  Puis, enfin, je m’assieds, bien calé, et aidé de Joëlle pour la bonne exposition de la dent. Anesthésie… Puis, un miroir dans une main, la fraise dans l’autre, je pars à l’attaque de l’émail ! C’est comme un TP de Techno quand il faut souder des composants sur une carte électronique : il faut bien s’installer, se concentrer et bien viser…On suit donc à la lettre le protocole de Philippe : trépanation, désinfection de la chambre pulpaire, pulpartrol, ciment d’obturation…Bon ça a l’air d’aller ! Il nous aura fallu presque deux heures quand même ! Et bien sûr l’appui d’un vrai dentiste pour les soins définitifs, au retour à la Réunion. 

Hop, Joëlle saute dans l’hélico pour aller me remplacer sur le bateau ; j’irais donc revoir la main du marin tout seul pour lui donner mon point de vue. Quant à l’appareil de biologie, en fait c’est un modèle que je n’ai pas à bord et suis donc bien peu inspiré pour trouver l’origine du problème ! 

Il me reste donc un peu de temps avant le déjeuner pour me dégourdir les pattes, sentir l’odeur des arbres (les seuls du subantarctique), et passer saluer les otaries, encore nombreuses ici. Vient ensuite le repas, toujours fabuleux à Amsterdam : nous avons droit en effet à une montagne de langoustes et de poissons frais ! Une sacrée curée ! Avec une farandole de desserts qui dépotent ! Parfait pour aller ensuite faire une petite sieste au milieu des otaries, tapi derrière un gros rocher pour s’abriter du vent. La VHF à portée de main quand même ! 

Il faut ensuite que je m’active un peu car le retour est dans deux heures et je dois aller encore effectuer les prélèvements d’eau pour le contrôle annuel de la qualité du traitement des eaux et du réseau de distribution. Nous partons donc en balade, Aurélien (le « chef centrale ») et moi, à travers les installations de la base : visite du local de traitement des eaux, des collecteurs de pluie, des poches souples de stockage, sorte de matelas géants, posés à même le sol, qui feraient des trampolines remarquables ! Description des types de filtre, traitement UV, peroxyde, filtre à charbon actif, …J’en découvre chaque jour ! C’est un peu la visite des coulisses, des coins où l’on ne va jamais habituellement, et qui sont pourtant vitaux pour la base !
Hop, ni une ni deux, me revoilà déjà dans l’hélico pour relever Joëlle. Même manège : attente, gilet, arrivée de l’hélico, tornade de vent et hurlement du moteur, les herbes volent, petit signe des gars de la sécu, avancée rapide, en regardant ses pieds, ouverture des portes,  on se hisse à bord, fermeture, décollage, 30 secondes de vol, atterrissage, ouverture, petits pas, tête baissée, « eh ! rendez les gilets ! », …on se croise avec Joëlle, impossible de se dire un mot, on entend rien (on prend donc toujours l’habitude de se laisser des petits mots écrits entre nous à chaque switch, c’est mignon), redécollage ! Ouf ! Fin de l’enfer sonore.
Des petits sourires m’accueillent…Estelle et Manu, et même Patrice, d’habitude si diplomate, se marrent en voyant l’hélico repartir et me demandent : « Alors content de revenir dans ta cabine ? ». Moi « … ? ». « - Ben tu trouves pas qu’elle sent très très fort ta collègue toubib ? ». Ça ne m’avait pas marqué mais effectivement quand je retrouve ma cabine, un mélange d’odeur de la ferme, et d’humidité (genre poils de chien mouillé), me chatouille les narines ! La pauvre Joëlle ne doit même plus se rendre compte que ses fringues de manip sentent l’otarie. Mais l’hôpital est littéralement situé au milieu de la colonie et est donc presque toute l’année au milieu du fumet subtil de ces bêtes poilues. Ah ! Les joies de la vie en pleine nature ! Il me faudra 24 heures d’aération de cabine pour la récupérer (heureusement que j’ai trouvé récemment l’outil  pour déboulonner mon hublot).
 St Paul
 Une otarie qui tire la langue à Amsterdam

 Jennifer, collègue des TAAF
 Moment de détente au "forum", le bar du Marion
 Nicolas, photographe appliqué
 St Paul et Amsterdam
 Un blessé et l'ambulance d'Amsterdam
 Joli piqué
 Pascal, le mécano, remet les pâles avant l'escale à Amsterdam
 Patrice, l'OPEA
 Philippe, sportif accompli
 Processus très périlleux de pour déposer la grue sur la barge, lors de l'escale à Amsterdam
 Visite des machines avec Richard, le chef mécano.
 Yann, qui travaille pour l'IPEV
 Partie de pêche à Amsterdam, depuis le Marion
 St Paul
 Découverte d'un petit appareil type ratrack, à Kerguelen
 L'épisode de la grue à Amsterdam
 St Paul
 Les 2 commandants du Marion, Bernard et Pascal
Equipe de la manip du refuge Mortadelle à Kerguelen

Bon je crois que je vous raconterai l’histoire du petit bleu la prochaine fois ! La bise.

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