dimanche 30 septembre 2012

OP2 EP4 Un bateau ivre…



Hier soir, en sortant de table, les gens se sont attardés au bar plus que d’habitude. Oui, oui, on a nos habitudes à bord ! Et depuis le premier jour d’embarquement ou presque. Oui, car chacun, en effet, semble s’attacher à se trouver de nouveaux repères à bord. Le temps qui passe ici n’a pas tout à fait le même qu’ailleurs. Il paraît plus palpable, plus net. Les jours se suivent de façon assez monotone en particulier pendant les transits, où aucune escale ne vient chambouler cet ordonnancement pachydermique. Et en l’absence de ces étapes, de ces arrêts, il y a bien peu de perturbations. C’est un enchaînement linéaire des jours qui rythme un système très simplifié : un seul endroit où aller, le bateau, un seul groupe de personnes à côtoyer, les gens à bord, quasi aucune influence du monde extérieur, avec un seul accès aux actualités (une fois par jour, via un bulletin d’information de presse internationale), aucune modification dans le déroulement des journées (moments de travail, de repas, de détente ou de sport organisés toujours de la même façon). Bref, une succession ordonnée de moments, voilà une journée, une succession sage de journées fait une semaine. Alors le temps parait à la fois plus palpable, plus lent et moins marquant car monotone. Cette sensation du temps qui glisse mollement comme de la mélasse peut être parfois assez perturbante. Les rituels permettent alors de planter des repères dans cette matière épaisse. Le samedi soir est donc un de ces repères en plus d’être une très bonne occas’  de se marrer.

      

D’ailleurs, ce samedi c’est l’anniversaire du commandant ! Ou comment un bateau d’expédition, qui se trouve encore bien loin de la première terre, peut devenir une bonne vieille boite de nuit ! On sent l’ambiance qui change progressivement, les discussions s’élèvent, les rires résonnent, Emilien, le barman est interpellé à chaque instant, les glaçons tintent, les commandes de vodka-martini, cognac, armagnac fusent, les enceintes vibrent. On branche les projecteurs sur la piste de danse. Et finalement, notre petite troupe, perdue dans l’immensité de l’océan, vit une soirée qui pourrait avoir lieu n’importe où. Car la recette est simple : des gens, de la musique, de l’alcool (!), et roule ma poule !


        



Le DJ du soir tâtonnant un peu, je lui propose un coup de main. J’ai avec moi une petite compil des morceaux sur lesquels nous avons le plus dansé pendant les soirées dans les internats de Bretagne (merci Charlotte), et le résultat est immédiat : la piste se remplit instantanément, les morceaux s’enchainent au poil…Pendant quelques instants, je ne sais plus trop si je suis toujours sur le Marion ou déjà rentré à Rennes…si les silhouettes qui s’agitent sont Roland, Charlotte, Lulu, Emilie, Anne, Pauline et Louis… ou si ce sont encore des hivernants des bases … Sensation bizarre. Un petit tour sur le pont, au cœur de la nuit noire, m’enlève ce doute fugace…L’air marin et le bruit des vagues pourraient pourtant prolonger l’incertitude d’une Bretagne toute proche…Mais malgré tout, aucune hésitation, c’est bien le pont du Marion sous mes pieds, l’air de l’Océan Indien sur mes joues, le garde-corps de la coupée sous mes doigts…




To be continued !

OP2 EP3 Un archipel sous la neige

Samedi, dix heures, c’est d’un air songeur que j’observe la lourde chaîne se mettre en mouvement. Le signal a été donné de la passerelle, les talkies ont grésillé, et les petites silhouettes fluo se démènent maintenant pour actionner les commandes de l’énorme treuil. Les cliquetis mécaniques des rouages  résonnent le long des structures d’acier du bateau. C’est la petite musique, grinçante et monotone de l’ancre qu’on remonte et qui marque donc la fin de l’escale à Kerguelen. 5 jours ont passé depuis ce lever de soleil glorieux sur le golfe, à notre arrivée, mardi. Cette escale, outre les raisons logistiques implacables, était aussi l’occasion de découvrir les îles Kerguelen sous une lumière glacée. La rudesse de l’hiver prend ici toute sa dimension : rafales à 80 Nds le premier jour, empêchant alors toute opération portuaire (une journée blanche pour ainsi dire…), température de   -2 degrés ce matin (soit -15 degrés ressentis pour un vent à 20 Nds), rafales de neige intermittentes, conditions changeantes en quelques minutes (du ciel bleu à la tempête), averses de grêlons, verglas sur le pont au matin, ciel bas et brouillard parfois en un instant. On comprend alors un peu mieux le petit surnom d’îles de la désolation, donné parfois à Kerguelen. On réalise aussi qu’on s’est nettement rapproché du pôle Sud et qu’on rentre alors dans un courant d’air infernal qui constitue le grand tourbillon permanent autour de l’Antarctique et participe à la régulation mondiale du climat. On a l’impression de s’être un peu trop approché d’une énorme machinerie, qui ressemblerait aux coulisses de notre Terre, aux moteurs géants d’une immense régulation thermique. Enfin, en tout cas, ça décoiffe ! En 4 jours effectifs, les missions prioritaires ont pu être effectuées : livraison de 960 m3 de gazole, de plusieurs tonnes de nourriture comprenant aussi des fruits et légumes frais (le rêve total pour les hivernants !), du matériel pour les différents travaux à venir, des bouteilles de gaz variés (oxygène, acétylène, hélium, protoxyde d’azote), à usage industriel, médical, scientifique. Les passagers touristes sont allés en vadrouille dans de très beaux coins : Laboureur, Ratmanov d’où ils nous ont même ramenés des moules délicieuses et des truites dodues, pêchées en une poignée de secondes (ça grouille de poissons ici). L’équipe toute fraîche qu’on a amenée à bord a pris ses marques sur la base, laissant alors libre la précédente de rejoindre le monde civilisé, après un an passé à Port-aux-Français (PAF). Mes collèges médecins devront quant à eux patienter encore 2 mois et demi avant l’arrivée de leur relève ! Le nouveau chef de district, « DisKER », a pris aussi ses fonctions, au cours d’une passation toujours solennelle (en tenue officielle, et en échangeant une très grosse clef, tout un symbole), en compagnie de Monsieur le préfet. De mon côté, j’ai livré la commande à SamuKER, l’hôpital de Kerguelen. J’ai pu passer deux jours à terre, donc un en compagnie de chacune de mes 2 collègues. Chouettes moments où l’on peut tranquillement faire le point au niveau du boulot, du moral, de l’ambiance de la base, des projets à mener. J’ai aussi pu compléter un peu ma connaissance de PAF (visite du garage, de Météo France, du CNES) et assister à deux lâchers de ballon météo (scène très marrante où après de multiples paramétrages informatiques compliqués, le technicien se retrouve quand même à devoir galoper en plein vent avec son gros ballon de baudruche au-dessus de la tête pour que celui-ci parte bien vers le ciel : ou quand la technologie ne fait pas tout…). 

Préparation au lâcher quotidien du ballon-sonde (Météo France).


 Aux abords de Kerguelen...

 Le Mont Ross en fin de journée.

Près de PAF

Installation de la manche à gasoil.

Dans le golfe du Morbihan.

 Au petit matin, sur le pont du Marion-Dufresne.

Près de PAF.

Entre PAF et Ratmanoff, une fusée d'époque ! (des soviétiques sont venus faire de la recherche à Kerguelen il y a 30-40 ans)

 La station CNES
Une partie de base à droite (PAF)

 



                Je garderai en mémoire le paysage fabuleux de Kerguelen, au petit matin, baigné d’un soleil éclatant mais froid, qui fait éclater un tableau contrasté : le blanc étincelant des montagnes enneigées se reflétant dans les eaux bleu sombre du golfe. Un plan d’eau immobile que seule une brise fait frémir, quelques vaguelettes qui viennent cogner sur la coque, formant un clapotis amical. Et les montagnes, partout, tout autour, à perte de vue, du Mont Ross, le plus haut et escarpé, aux créneaux du Château, bloc rocheux massif, au somment en forme de mâchicoulis. La nature sauvage à perte de vue, comme un appel imminent, insistant, tenace,  à des expéditions aventureuses. On aimerait alors attraper un bon sac à dos, le remplir de vivres, d’une bonne tente et d’un duvet chaud, et s’enfoncer dans les vallons gelés, avec sa carte et sa boussole, en glissant sur des skis. Bon, pour le moment « faut fair’ l’gazole » et donc assurer la sécurité des marins qui toute la journée vont trimer, se geler les mains, respirer quelques vapeurs d’hydrocarbures, se coincer quelques doigts, …Je remets mes rêves de glissades à plus tard alors. Mais je n’oublie pas cette émotion puissante du petit matin sous la neige.   
                Je me souviendrai aussi des confidences de mes collègues, BibCro, BibKer et Bibou (KER). Ou comment on peut avoir la douloureuse impression, que les difficultés à vivre en semble sont tout aussi présentes au bout du monde. Que les bassesses, les commérages, les intimidations ne sont pas atténuées pour l’impérieuse nécessité de faire vivre un petit groupe. Que la mobilisation pour un objectif commun motivant (faire fonctionner la recherche polaire) ne suffit pas à adoucir les rivalités, à rapprocher les hommes, à faciliter la communication. Finalement, l’obligation de vivre en petit groupe, au cours d’une période prolongée, dans une intimité très relative semble avoir souvent raison des espoirs finalement naïfs d’une harmonie communautaire. Et la beauté du paysage n’y change pas grand-chose. La vie en société n’est décidément pas simple.
                Cependant, les belles rencontres rétablissent nettement ce constat un peu dur. Car, ici plus qu’ailleurs, on croise des passionnés, des enthousiastes, des motivés. Des gens volontaires et curieux qui font partager leur plaisir. Des gens qui ne sont pas avares de témoignages, d’anecdotes, de souvenirs. Qui continuent de s’émerveiller, de chercher, de réfléchir, de se marrer. Et ces rencontres-là sont précieuses et stimulantes. Et ne sont pas si rares par ici. C’est vraiment ces moments-là qui donnent sa dimension au voyage, son caractère unique, singulier : Patrick, le technicien du Centre National d’Etudes Spatiales, qui peut raconter, pendant des heures, le ballet des satellites au-dessus de nos têtes, Philippe, le chef météo à l’air malicieux, ravi d’envoyer des sondes dans les nuages, Jérôme, le boulanger, qui mitonne dans ses fours des desserts savoureux et surveille d’un œil attentif la cuisson des baguettes, Guillaume, le jeune scientifique, qui connaît comme sa poche le monde des éléphants de mer…

                Voilà. Kerguelen, au revoir. On revient dans 2 mois ½.

                Cap sur Amsterdam et St Paul ! On est juste en train de sortir du golfe du Morbihan, devant PAF. On va devoir s’accrocher car habituellement la navigation après KER est plutôt musclée, et alors là en plein hiver, ça risque de chahuter. Je vous raconterai ça.

OP2 EP2 A l’assaut des vagues



 Eclats de rires au pont E, entre les tables de la salle à manger (hier matin) : le roulis est plus que costaud et envoie valser les plateaux des courageux passagers encore assez vaillants pour envisager un petit déjeuner. Martine s’est en effet renversé son bol de lait sur le pantalon, Cédric a la moitié de ses corn flakes sur les chaussures, Guillaume mange debout, Sophie s’accroche des deux mains à sa table et tente d’y rester, José est en train de s’éloigner doucement de son bol, toujours assis sur sa chaise, celle-ci s’engage dans la pente créée quelques instant par un bon coup de roulis et se dirige ainsi vers la table voisine, sous l’œil inquiet de ses commensaux. Bref, c’est la grosse poilade devant ce tableau inattendu de repas acrobatique. Jean-Charles, le maître d’hôtel, ne le voit pas du même œil et pense plutôt au bazar qu’il va falloir nettoyer, ranger, essuyer… On est obligé de faire une croix sur les tartines car étaler le beurre accapare les deux mains et mettrait gravement en danger le bo let le verre de jus d’oranges.





 J’essaye de passer entre les gouttes (…) pour finir mon repas et file ensuite en cuisine pour donner un coup de main à Yvan le chef cuistot. Je suis en effet dans une phase « desserts » et me prote volontaire pour y participer : hier, tartes aux pommes, aujourd’hui ramequins au citron meringué (à chaque fois pour 120 personnes bien sûr !) : j’ai donc droit à des petits cours particuliers pour apprendre à faire une super mousse au citron (et au passage s’envoyer 45 citrons à peler pour le zeste puis à presser à la main), monter 50 blancs en neige, manier la douille (aucun jeu de mots), jouer avec le chalumeau pour brunir la meringue…Le tout en essayant de ne pas déraper dans la cuisine quand il y a 25-30° de gîte ni laisser voler les ingrédients, ustensiles, plats…pas simple ! Enfin, on s’en sort à peu près grâce aux trucs et astuces des cuistots malgaches, rois dans l’art de préparer des petits plats en s’équilibrant sur une jambe, en rattrapant les légumes du bout des doigts, tout en sifflotant gaiement…pour eux c’est le quotidien ! Je sui d’ailleurs sidéré de voir les couteaux affûtés qui émincent, pèlent, tranchent, très vite et sans faute, alors que pour nous, passagers, c’est déjà périlleux d’avancer juste de quelques pas.


Les desserts terminés et les visites à « domicile » effectuées pour les passagers les plus malades, je grimpe à la passerelle pour le petit rituel du matin : papotage avec l’officier de quart, consultation de la météo, des nouvelles du monde, un petit point sur notre route, les prévisions de navigation…J’apprends alors que 2 obstacles se trouveraient sur notre route : 1/ un bateau « pirate » pêchant illégalement dans les eaux territoriales des Taaf, hoho, et 2/ un iceberg qui dériverait au nord de l’archipel de Crozet, héhé ! On va donc surveiller ces 2 éléments. Peut-être faudra-t-il aller contrôler le bateau, faire de la photo-identification et dresser un PV pour ces marins peu scrupuleux. Et verrons-nous pour de vrai un iceberg, flottant seul au milieu de l’océan, dérivant depuis des jours et des semaines, craquant de toutes parts, et offrant ses reflets bleutés aux regards incrédules des passagers ? Encore un peu tôt pour le dire car la trace sur le radar n’est pas très précise (artéfact ?). On verra aux abords de l’île de La Possession. 



Grande nouveauté du jour également : la présence des oiseaux ! Ça y est, nous sommes assez proches de la prochaine terre et certains oiseaux peuvent s’aventurer jusqu’à nous. Nous avons aussi passé la zone de convergence des eaux froides du Sud et chaudes du Nord et cet endroit est alors très poissonneux, attirant donc certains prédateurs. Le ballet aérien peut donc débuter et on ne se lasse pas d’observer ces immenses oiseaux jouer avec la houle, le bateau, les petits courants d’air au ras de la crête des vagues. Ils semblent suivre le navire comme d’insouciants accompagnateurs, avançant sans effort et sans bruit, ne battant jamais des ailes. C’est vraiment fascinant. 

On se prépare aussi à notre escale à Crozet : dès demain matin, commencera le bal des hélicos, la mise à l’eau de la portière (radeau), le débarquement du fret, l’acheminement du gasoil…Bref, l’effervescence d’une OP se concentre vraiment dans ces moments-là : réunion dès ce matin pour régler les derniers détails logistiques, présentation de Crozet aux touristes, passage obligé pour tout le monde à l’aspiration (vêtements, chaussures, valises) afin d’empêcher l’introduction de toute espèce invasive (graines, spores…), préparation de l’équipement adapté au froid et au vent violent de cet archipel. On planifie aussi la rotation de l’hélico et choisit quels passagers iront à terre (en plus des militaires qui viennent relever leurs collègues) : je demande ainsi à Patrice de faire une place pour une des passagère, malade depuis 5 jours et confinée dans sa cabine. Elle pourra ainsi se dégourdir les jambes, s’aérer, et profiter de quelques heures de répit sans roulis ni tangage ! De mon côté, j’organise les différents cartons à destination de l’hôpital de Crozet et contrôle une dernière fois que toutes les différentes commandes sont prêtes, que rien ne restera à bord par erreur car notre prochain passage à Crozet attendra 2 mois et demi.




Hier soir et cette nuit, la mer s’est calmée et nous accorde un peu de calme ; on peut marcher à nouveau dans les coursives sans s’agripper partout, travailler sur un ordinateur, lire plus tranquillement, déjeuner en restant propre… et dormir la nuit sans être projeté d’un bout à l’autre de sa bannette ! Je vais d’ailleurs filer car il est midi douze…et la ponctualité c’est dans 3 minutes !
Bises (fraîches, il fait ici 8° et la mer est à 7).

OP2 EP1 Dauphins et baleines


« Bpummmmm, Bpummmmm… », la corne de brume retentit le long des quais du Port Est, emplacement 15. Les mains s’agitent, les regards se croisent, la coque s’éloigne lentement de l’aplomb de la berge. Les passagers se pressent sur la coupé tribord pour saluer une dernière fois la foule de ceux qui restent. Le moment semble suspendu, figé, le Marion Dufresne se décale au ralenti, au rythme lent des bras qui saluent, des mouchoirs blancs qui se balancent. Le soleil est écrasant, les couleurs sont vives, éclatantes, l’air pesant, lourd. On ne sait pas si on aimerait que se moment dure encore ou s’arrête. Tout en saluent encore pour quelques instants famille et amis, on récapitule mentalement si on a tout bien pris avec soi, rien oublié derrière…ça a l’air d’être bon…appareil de radio…réparé ! amené à bord ! OK… automate de biologie…révisé…à bord ! OK…pharmacie…à bord ! bouquins de médecine…c’est bon ! dossiers médicaux de tous les passagers…vérifiés ! commandes des 3 districts…à bord ! nouvelle dotation de gaz médicaux…en cale ! commande dentaire … réceptionnée ! demandes personnelles des médecins des bases…c’est bon ! Livret d’instructions du médecin de bord…emmené ! commande de biologie…dans le frigo ! Documents air liquide de bonnes pratiques…OK ! Bon, ça semble correct ! 



Je vais aller pouvoir sereinement profiter des péripéties du départ : arrivée de la pilotine, embarquement du pilote, sorite du port, dernier salut du pilote qui nous laisse à notre sort et remonte sur son bateau. Hélico au loin dans le ciel bleu marine de la Réunion. Le pilote et le mécano sont toujours les deux dernières personnes qui embarquent car l’hélico ne peut pas se poser à proximité du port (trop d’obstacles), ils atterrissent donc quand le bateau est déjà au large. Arrivée toujours spectaculaire avec le traditionnel salut de l’hélico au bateau, en plein ciel : l’hélico reste en stationnaire et pivote de haut en bas et d’avant en arrière comme s’il hochait la tête d’un air résigné affirmant ainsi que l’aventure peut bel et bien commencer. Puis il opère un grand cercle autour du navire, à basse altitude, comme pour bien s’assurer que c’était le bon bâtiment. Enfin, il se pose sur la DZ, sous les regards ébahis des passagers qui découvrent souvent pour la première fois ce spectacle aérien en plein océan. 







L’hélico vient à peine de se poser que les marins ont déjà détaché ses pâles et le pousse dans le hangar pour l’y arrimer. Un instant après, des cris fusent dans l’assistance : « Des dauphins ! ». Un banc entier de dauphin fonce en effet vers le bateau, sautant d’une vague à l’autre et dessinant des arabesques sous-marines entre deux cabrioles. Ils se dirigent vers la proue pour s’amuser dans la vague d’étrave ! Dix minutes de spectacle et pffuit ! ils disparaissent dans les profondeurs sombres. On ne les reverra plus pour cette fois.

Le Marion suit encore pour quelques instants les côtes réunionnaises puis les laissent à tribord et fait cap plein Nord en direction de Tromelin. Nous atteindrons ce minuscule morceau d’île demain matin (vendredi). Chacun gagne alors sa cabine pour s’y installer, ranger quelques affaires, puis par t explorer le bateau, se perdant dans les nombreuses coursives. On commence aussi à faire connaissance : la mission permet essentiellement d’opérer la rotation des personnels militaires des bases (PARTEX), dont la mission s’étale sur 13 mois d’Août à Septembre. Il y a donc à bord une 20aine de militaires, issus de toutes les armes : l’armée de l’air est traditionnellement en charge des réseaux de télécommunication, l’armée de Terre (« buissons ») des infrastructures, la Marine de la maintenance des engins mécaniques, bateaux, structures portuaires. La plupart des militaires découvrent les Taaf pour la première fois et vont aussi apprendre à collaborer avec des civils, au quotidien, pendant un an. Le Marion abrite aussi des personnels Taaf à destination des districts : boulanger, cuisiniers, ouvriers polyvalents, peintres, maçons qui vont assurer la logistique au quotidien des bases et resteront pour la plupart jusqu’en avril prochain. Il y a aussi des prestataires extérieurs aux Taaf : Météo France envoie quelques techniciens à Tromelin et à Kerguelen ; Télespazio case un ingénieur pour Kerguelen. L’OP permet aussi la relève des chefs de district. Ce sont eux qui représentent l’administration sur place, qui incarnent l’Etat français et sont les garants du bon déroulement de la mission, rendent des comptes régulièrement au siège des Taaf, font respecter la loi française, organisent harmonieusement la vie sur place, arbitrent les conflits, supervisent la sécurité, préviennent les accidents…Bref, ce sont les grands chefs localement. Ils ont des profils assez variés : sur cette rotation on trouve un gendarme de carrière en poste dans les RI (haut niveau) juste avant de s’engager aux Taaf (CRO), on a un ingénieur du CNES qui a travaillé à Kourou, en Australie, en Antarctique (KER) et je ne connais pas encore celui qui ira à AMS. Ceux qu’ils remplacent étaient militaire haut gradé dans les Forces Spéciales, cadre chez France Télécom…

Enfin, le bord accueille aussi le nouveau (avril 2012) préfet des Taaf, Pascal BOLOT, qui va ainsi découvrir le Marion et les districts dont il est l’administrateur supérieur. C’est donc une occasion importante pour les cadres des Taaf de lui faire visiter ses territoires en lui proposant alors un éclairage dirigé vers les problématiques propres à chaque service (Réserve Naturelle, Services Techniques, Service Financier… : les 3 directeurs sont donc à bord, respectivement Cédric, Marion et Didier).

Pour finir, un rapide tour de l’équipage, commandé par Pascal Auvinet, avec qui j’ai navigué lors de la dernière OP. Un quinqua originaire du Sud-Ouest, auparavant commandant du Christophe Colomb , un des plus grand porte conteneur français, et avant encore il naviguait sur les côtes ouest africaines pour charger son grumier des bois exotiques précieux. Il a donc bien bourlingué et n’est jamais avare d’anecdotes savoureuses de ces missions autrement aventureuses. Il est secondé par Estelle avec qui j’ai partagé toutes mes rotations jusqu’à présent. Le chef mécano n’est pas Alain cette fois-ci mais Mathieu, jeune lieutenant au visage rond et jovial, secondé par JB, plus jeune lieutenant encore avec qui j’ai fait plusieurs OP déjà et qui est un grand fan de montagne ! Je connais mois bien le reste de l’équipage français pour le moment mais ça va vite changer. Les marins malgaches et roumains sont là aussi, je les connais pour la plupart. Ils sont champions de la bonne humeur ! C’est un plaisir de travailler avec eux.


On trouve aussi à bord une jeune journaliste de l’AFP, Sophie Lautier, qui vient faire un grand reportage sur les Taaf et qui est accompagnée de Nelly, chargée de com’ aux Taaf.

La journée de jeudi progresse pour nous envelopper finalement dans une nuit opaque et humide qui nous invite à regagner le château pour y dîner. Premier repas à bord et premiers maux de mer pour les plus sensibles que je retrouvent, un peu plus tard, au seuil de l’hôpital, tout verts ! Distribution générale d’antinaupathiques et conseils de circonstances. La soirée est calme, et la majorité des passagers regagne sa cabine sans trop tarder. La fatigue des derniers préparatifs est costaude et les couettes très confortables : bim ! me voilà parti pour 10 heures de sommeil…trop bon !

Premier réveil à bord, lumière vive d’un ciel sans nuage, encore amplifiée par la réverbération de la mer, et la rectitude des rayons, car nous nous rapprochons de l’équateur. Ça cogne ! On prend le soleil sur le pont, tentant d’apercevoir en premier la minuscule silhouette de Tromelin ! A 10 heures, ça y est ! On la voit. Minuscule terre plate et sablonneuse qui émerge tout juste des eaux turquoises de l’océan Indien. Plage frangée de cocotiers, quelques bicoques de guingois et une piste d’atterrissage ! Voilà tout…3 personnes s’y relaient par période de deux mois (maintenance d(installations météo et souveraineté française car le territoire est revendiquée périodiquement par les mauriciens). Alors qu’on se perd en rêveries à la Robinson Crusoé en voyant cette île, mon voisin s’excite et crie « Baleines à bâbord ! ». Pas faux…2 ombres sombres et massives évoluent sous l’eau à une 10aine de mètres tout au plus de la coque. Ces deux baleines font surface un instant pour respirer puis disparaissent pour quelques minutes. On les reverra ensuite deux fois autour du bateau, alors que nous mouillons à 100 mètres à peine de Tromelin. Cette OP commence sacrément bien pardi ! Une après-midi à contempler ce petit coin de paradis (et à acheminer du matériel et de vivres) et pffffuitt ! Direction Crozet que nous devrions atteindre le 30 au petit jour.




Allez je file ! Voici une consultation…