« Don’t waste your life ! ». C’est un morceau
de phrase que j’ai retenu aujourd’hui. J’essaie de conserver chaque jour une
bribe du quotidien qui m’a marquée : une image, le visage de quelqu’un
croisé dans la rue, une émotion, un paysage particulièrement captivant, une
scène banale dans la rue, une expression, une mimique, quelques notes de
musique. Lorsque je remarque une de ces situations touchantes, je me concentre
le plus possible pour la graver profondément dans ma mémoire. Souvent je l’ai
complètement oubliée dès les jours suivants. Parfois, ça marche un peu mieux.
Donc, aujourd’hui, j’ai attrapé au vol ces quelques mots – don’t waste your
life – qui venaient je crois d’une chanson arrivée par hasard jusqu’à mes
oreilles. Simultanément, j’étais en train de lire les dernières lignes du roman
« autoportrait de l’auteur en coureur de fond » de Murakami, qui
disait justement qu’il voudrait voir écrit sur sa pierre tombale :
Murakami 1949-20XX écrivain (et coureur) « au moins jusqu'au bout il
n’aura pas marché ». Ces deux idées du temps si précieux qui file
rentraient alors en résonance comme pour établir ce constat tragique et
pourtant stimulant disant que l’on avait qu’une vie, qu’elle était brève et
qu’on avait ainsi tout intérêt à la vivre intensément. Que faire donc de ce
terrible impératif d’intensité. Comment fait-on des heures qui passent, des
jours riches de sens ? Faut-il courir justement ? Partir à l’aventure,
essayer de découvrir le monde qui nous entoure dans une sorte de frénésie
voyageuse ? Ou bien l’intensité revêt-elle plutôt une dimension plus
centrée sur la construction personnelle ou bien celle de la
cellule familiale ? Existent-ils autant de réponses que d’individus face à
ce besoin de sens et d’intensité ? Doit-on travailler à faire de notre vie
une accumulation d’expériences, d’aventures, de rencontres ? Pourtant la
sagesse ne s’acquiert pas dans la répétition forcenée ni dans la superposition
de strates d’existence. Et en même temps, alors que j’essaie de démêler cet
embouteillage confus d’idée, je revois Charlie Chaplin, très sérieux, disant qu’une
journée sans rire est une journée perdue. Il faudrait donc chaque jour tâcher
de se marrer, de se maintenir en forme, d’aller de l’avant vers toujours plus
de nouveautés, tout en se concentrant sur son chemin personnel en direction de
plus de sagesse, plus de partage, plus d'attention vers les autres…Ouarf, pas facile…et quel programme exigeant !
Donc pour le moment, je décide de me concentrer sur la
version japonaise de cette longue réponse un peu décousue, à savoir la course à
pied. Cet exercice a le mérite de procurer un moment de détachement total, on
pénètre donc dans son vide personnel cousu main, comme le dit Murakami.
Comprendre, un moment où l’on est tellement concentré sur sa course, attentif
aux réactions de son corps face à l’exigence de l’exercice, que l’on se
déconnecte complètement des autres humains nous entourant, de ses soucis du
moment, des questions qui tournent en boucle dans nos têtes parfois malmenées. On
accède à un espace très limpide, sans autre contrainte que de courir, sans
enjeu, sans interférence.
Me voici donc laçant mes chaussures, ajustant mon
chronomètre, préparant ma petite gourde, puis enfin prêt à partir sur le sentier
du littoral qui quitte St Pierre par le Nord-Ouest en direction d’Etang salé. C’est
un petit chemin qui suit fidèlement le découpage de la côte, où se succèdent quelques
petites descentes et côtes. D’abord en goudron, puis en terre, puis avec plein
de petits cailloux. Il serpente aussi dans un coin un peu glauque à la sortie
de St Pierre, où un terrain vague encadré de petits buissons sur de zone de
passe. Je surprendrais ainsi, avec ma frontale (footing nocturne), une petite
partie de jambes en l’air tarifée !
Voilà, je suis prêt, je m’élance. La musique me donne le
tempo pour les premières minutes, et je m’aide aussi de la grande descente
depuis mon appartement vers la mer, pour me lancer à bonne allure. Mes chaussures
de footing, encore presque neuves, sont légères et élastiques. Lorsque le pied
frappe le sol, elles renvoient l’énergie presque dans les mêmes proportions
pour ébaucher déjà la foulée suivante. Il suffit de se laisser guider. J’ai
presque l’impression que ce sont elles, et la musique, qui donnent le rythme.
Je suis juste un automate ébahi de voir cette mécanique efficace et fluide se
mettre en marche. L’air du soir est doux, le soleil est en train de se coucher.
J’entends le vent crée par la foulée siffler à mes oreilles. Les façades des
derniers immeubles de la ville défilent sur les côtés. Je double un vélo, c’est
bon signe ! J’arrive maintenant au niveau des petites bicoques à frites
qui délimitent la fin de la ville au niveau des dernières plages. Je rentre
dans la zone commerciale et me faufile au milieu des voitures garées sur l’immense
parking. Le goudron est souple, presque élastique ; j’accélère
encore un peu, seulement freiné par les chiffres du cardio qui me demandent un
peu de sobriété. La lumière décline alors très vite, le soleil vient de
disparaître derrière l’horizon. Il embrase alors les quelques nuages qui
traînaient par là. Du rose pâle au rouge carmin, tout le nuancier est décliné !
Il ne faut pourtant pas que je lève trop le nez car le chemin est maintenant
caillouteux et plein d’ornières. J’allume alors ma frontale. Le faisceau, d’un
blanc froid et puissant devient à présent mon nouveau compagnon de route,
fidèle jumeau de lumière, qui dodeline au même rythme que moi. Je ne cours plus
sur le littoral de La Réunion, mais juste dans un fin pinceau de lumière, un tunnel
blanchâtre, qui devient alors l’intégralité de mon monde. Je ne connais à
présent plus rien d’autre que ce petit m2 devant moi, qui défile sous mes
pieds. J’écarquille les yeux pour ne pas me faire piéger par un de ces gros
cailloux sombres. Parfois, j’essaie de voir un peu au loin, mais au-delà de mon
cône lumineux, ce ne sont que ténèbres…Jusqu’à ce qu’au détour du sentier, je
rencontre presque un projecteur : celui de la lune, pleine et fière, qui
vient de se hisser entre les pics montagneux des 3 cirques, juste derrière moi.
Elle reflète maintenant devant mes pieds, les puissants rayons du soleil, dont
l’activité n’a pas cessé, malgré la nuit noire tombée ici il y a quelques
minutes. Je peux donner congé à ma brave frontale et diriger mes pas à la
lumière de lune. Le ciel se remplit progressivement des astres de l’hémisphère
sud, dessinant une voûte céleste où je n’ai aucun repère, et qui n’en paraît
que plus fascinant.
La nature est ici, sur cette île, l’objet d’un
émerveillement permanent. Avant-hier, je courrais dans Mafat, un des trois
cirques de la Réunion. Sur un sentier appelé la canalisation des orangers :
sorte de sillon creusé dans la roche, à mi-hauteur du rempart sud.
Ce chemin
surplombe donc le cirque. On est comme suspendu en l’air, avec un panorama
somptueux sous les pieds. C’est un sentier presque plan, sans obstacle, où peut
vraiment courir vite. Le décor défile donc sur le côté, comme dans un film. Il
y a par moment des séries de petits virages, ce qui accentue encore l’impression
de vitesse. C’était le petit matin, j’avais bivouaqué la veille au pied du
chemin. Sous mes yeux, je voyais le timide soleil matinal prendre ses marques
et commencer à chauffer la pierre de ces incroyables murailles minérales. Les
premiers rayons du soleil venaient dessiner les contours des sommets voisins,
projetant leurs ombres dures sur le parterre végétal du fond du cirque. Les
couleurs se réchauffaient aussi progressivement, la nuit laissant place tout
doucement aux teintes dorées et douces du petit matin. J’étais tout seul sur ce
chemin habituellement très fréquenté et savourais ces moments intenses en
réfléchissant déjà aux prochaines randos à faire !
Ici, mardi soir, c’est la fin d’un WE de pont, qui a vu les
socialistes triompher à La Réunion, avec 70% des suffrages du second tour :
concert de klaxon dimanche soir. Un WE aussi où j’ai couru tous les jours et
fait deux sorties de kite ! Là aussi je progresse, et m’habitue aux
conditions particulières des spots réunionnais ! J’ai pu aussi m’inscrire
pour passer mon niveau un de plongée !
Bref, c’était bien rempli…et je n’ai pas marché !
La bise à vous, bonne soirée.
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