vendredi 30 décembre 2011

QUELQUES DOUCEURS POUR LA TREVE DES CONFISEURS mardi 27 décembre

 Barbecue sur le pont arière
 Le château en pleine nuit.
 Loïc notre chef cuisto adoré
Les étoiles de l'hémisphère sud vous souhaitent une bonne année (3à sec de temps de pause et l'infini surgit).

Je vous avais parlé du défi que représentait Noël à bord, où fédérer une population aussi hétérogène semble très ardu… Pourtant on a vécu sans aucun doute un très beau réveillon !
Bien aidés par un incroyable festin, et le renfort de quelques alcools opportuns, en particulier plusieurs très bons vins. Nous étions réchauffés et plein d’entrain, au moment de passer à la remise des cadeaux, que chacun avait bricolé discrètement, dans son dos. La liste des passagers fut égrainée, les cadeaux ont été distribués, et ont très souvent déclenché, des sourires, des « merci », des « vous rigolez ?». Puis tout s’est accéléré, les animations nous ont enthousiasmés : d’abord l’équipage malgache a capella, puis avec quelques coupes rapidement on trinqua, avant d’écouter attentivement en rond, un beau morceau de guitare et d’accordéon. Ensuite comme un seul homme on écarta, les tables, les chaises gisant çà et là, pour prendre enfin possession, de la piste de danse, la musique à fond. On était arrivé chez les malgaches, qui sont toujours rieurs, joyeux et potaches, et ne perdent jamais une occasion, de chanter, de danser plus que de raison ! On a donc fait la fête tous ensemble, jusqu’à une heure bien avancée, et même si personne ne se ressemble, ça n’a pas empêché une belle fraternité.
Cette soirée de Noël a été une belle réussite. Elle a bien relancé l’ambiance générale, qu’il faut pouvoir rebooster un peu au cours de l’OP, tout de même longue de 4 semaines quasiment. Nous étions donc tous bien relancés. Dès le lendemain (dimanche 26), nous avons embrayé avec une autre très géniale soirée !
Les haut-parleurs étaient formels, et nous donnaient rendez-vous, sans autre alternative, à 19h00 ce jour sur la DZ ! Pourtant l’hélico était remisé depuis un bail, les palles démontées, le cockpit bâché, le pilote décontracté ! La DZ était effectivement entièrement libérée, nous laissant une vue large, sans entrave, depuis la poupe du bateau, sur l’infinité de l’océan indien, calme et réchauffé par l’été austral à proximité ; l’horizon vibrait alors, d’une onde de chaleur, comme si nous voyions la friction, d’un immense corps à corps, entre l’océan et l’horizon ; A cet endroit même du bateau, le regard n’est arrêté par rien, peut faire un tour et revenir à zéro, comme un écho résonnant sans fin ! L’endroit est donc propice, et a ainsi été désigné pour accueillir le barbecue de fin de mission ; les matelots ont déjà amené, l’essence, le bois, les munitions : veaux, saucisses, merguez, cochons ; filets, entrecôtes et poissons ; le cuistot a même mitonné, une grande cuve de frites, des légumes et des langoustes grillées ! Et devant un soleil couchant flatteur, on retrouve l’œil averti des amateurs, de belles photos, de portraits au cordeau, tous très concentrés pour réussir le plus beau cliché ! On se laisse donc aller à discutayer, bavasser, rêver tout haut, on partage nos meilleurs moments, on imagine les futurs plans, des aventures encore à venir, d’autres chemins à gravir ! On se laisse aller à rêvasser, jusqu’à se faire réveiller par des cris, des furies : les autres passagers en effet prennent leurs pattes à leurs cous et partent à grandes enjambées, s’enfuient pour se cacher ! Car juste un peu plus tôt, un officier s’est hissé plus haut, a empoigné le gros jet d’eau, prévu pour un incendie d’hélico, et nous a violemment arrosés, nous faisant tous décampés, dans un désordre comique, insensé, où certains se sont bien étalés !
Je crois que cette blague est un grand classique, servie à chaque OP, d’ailleurs les anciens s’étaient bien plaqués, et ont ri de l’effet comique !
Ensuite comme attendu, est arrivé le mardi, sans surprise, bien à l’heure et malgré le décalage horaire (ça y est on est revenu sur le fuseau d’Islamabad) ! Et pour nous aussi, le synonyme d’une escale ensoleillée sur l’île Maurice. Nous avons surveillé qu’on hisse, bien haut les couleurs du Marion, qui fièrement a accosté entre un thonier géant et une coque d’acier, de frégate militaire très longue, remplie de « Marines » en tongues !
Dès 9h00 nous avons débarqué pour découvrir cette jolie petite île ! J’ai eu la chance de retrouver Neetish, un bon copain de l’externat à Lyon, mauricien, en vacances dans sa famille ! On a donc visité l’île, bien escortés d’un chouette guide ! Petite promenade à Port Louis, puis on saute dans sa voiture pour aller voir les très belles plages d’eau turquoise, ourlées de sable fin, de cocotiers, de restos ambulants ! On peut se jeter à l’eau sans inquiétude, rassurés par plus de 28 degrés sous-marins, on va plonger sereins ! En traversant l’Ouest de l’île, on redécouvre la vie normale des villes, des villages, traversés par des files de voitures, de motos, à l’ombre des cocotiers et des flamboyants, où les rues sont animées de marchés, de marchands, de jeux d’enfants, et bordées de trottoirs brûlants ; pour ceux qui depuis un an, ont arpenté les immensités silencieuses, de leurs îles lointaines,et rocheuses, la balade n’a rien d’évident ; ils ont besoin de se réhabituer, doucement, ne rien précipiter, car pour eux le retour n’est pas facile, ils regrettent un peu leurs îles !
Enfin, nous voilà de retour ! Nous remontons à bord puis levons l’ancre ; nous laissons l’île Maurice dans notre sillage, et filons vers L’île Bourbon ! L’atmosphère ce soir est singulière. On perçoit très bien que le périple se termine, qu’on ne reverra plus demain, tous ces visages, ces bonnes mines, et qu’il faudra reprendre notre quotidien !
Enfin, sauf pour certains, dont je fais partie ; car OP4 se profile déjà, et on n’aura pas trop le temps de s’appesantir sur ce que l’on vient de vivre ensemble !
Alors ce soir au dîner, je regarde tranquillement tous ces gens, bien souvent passionnants, avec lesquels j’ai partagé ma première aventure australe. Celle qui ouvre la voie à d’autres et me donne le sentiment très franc que cette belle histoire ne fait que commencer !
Bises du Marion !
Martin 20°S 56°E

UNE DZ POUR UN TRAINEAU samedi 24 décembre

 Voici le traîneau de notre père noël à nous !
 Il pourrait aussi arriver en albatros tellement ces oiseaux sont gigantesques !
 Ce genre de fin de journée magique : voilà nos plus beaux cadeaux !
 On pourrait aussi rêver d'une petite peluche vivante (bébé otarie, surnommé "poups").
On aimerait que les couchers de soleil s'éternisent un peu...


Comment organiser un Noël sur un bateau ?
Contexte : un navire, le Marion Dufresne, à plus de 1000 km des premières côtes habitées ; un climat tropical, plus de 25° dehors, un soleil mordant ; l’océan indien à perte de vue en plein été austral ! Une population embarquée complètement hétéroclite : équipage malgache, roumain et français, passagers français, belges, anglais, canadiens, finnois ; certains se connaissent comme de vieux frères, ayant hiverné ensemble de longs mois, dans un habitat confiné, isolé ; les autres ne se connaissent que depuis quelques jours, le tout formant un ensemble disparate, plus ou moins francophone, plus ou moins épuisé (hivernage/travail à bord), plus ou moins malade (mal de mer/diverses viroses…). Bref, un climat qui n’a rien d’hivernal, un public difficile à fédérer, pas vraiment de préparatifs à assumer, aucune courses spéciales à faire…
Solution : guirlandes à gogo, fausse neige, père noël gonflable, chants de noël, bonne humeur collective, collecte de cadeaux auprès de tout le monde, menu de fête carrément hallucinant (toute l a gastronomie y passe : des magrets au saumon, en passant par le foie gras, le champagne, les gibiers, la volaille, la bûche etc… incroyable !), une cérémonie avec des lutins et un père noël choisi parmi les touristes (Paul, un des touristes venu découvrir Amsterdam où son fils avait hiverné, a une barbe blanche magnifique, fait au moins 1m90, carré et jovial, c’est le candidat idéal), animations musicales (JB, l’ancien BibKer a un accordéon, Johan une guitare, Julien, membre du CNES, une trompette !), playlist de noël (que j’ai retrouvée sur mon ordi, souvenir de Bodélio !). Tout le monde y met du sien pour faire de ce moment une chouette soirée, malgré un contexte des plus incongru pour fêter Noël ! Il ne reste plus qu’à mettre en scène l’arrivée du Père Noël qui aurait grimpé dans l’hélico, repeint en rouge, et qui atterrirait sur la DZ, en grande pompe, devant la foule émerveillée…(Je vais demander à Pascal, le pilote d’hélico, s’il pourrait faire un petit effort particulier).
Donc finalement ça s’annonce très sympathique ce réveillon ! Il nous faut encore retrouver le costume du père noël, encore caché quelque part sur le bateau…
Notre embarcation fait toujours route vers Maurice, que nous atteindrons mardi matin pour y passer une journée avant de repartir le soir pour la réunion (arrivée prévue mercredi matin). J’aurai ensuite 48 heures pour préparer à nouveau mon sac, déposé les déchets médicaux, les surplus d’inventaires,… puis récupérer ensuite les nouvelles commandes de médicaments et de matériel pour le Marion et les districts avant d’embarquer le vendredi 30 au matin pour une nouvelle OP !
J’espère que vous allez tous bien en métropole, j’imagine les réveillons qui s’organisent, les familles qui se retrouvent, les vacances qui commencent. Profitez-bien de ces beaux moments, surtout sans modération ! Très bonnes fêtes à tous, je vous embrasse.
Martin, 29°S, 67°E.

UN DELUGE DE LANGOUSTES jeudi 22 décembre


 Ile saint paul
 bois de phyllica à amsterdam
 sur la base d'amsterdam







Reprenons le fil ; nous l’avions laissé aux abords de Kerguelen, au large de sa côte Est, hostile et découpée, mais qu’on laissait s’éloigner doucement dans un flot de lumière douce, tamisée par quelques nuages laiteux. Le décor était alors particulièrement saisissant : nous quittions alors Kerguelen dans cette lumière éclatante, très vive, qui découpait des silhouettes précises parmi les rochers et falaises de la côte, ciselant un décor éclatant, dans un air vif et sec, presque un peu acidulé par la vie végétale fournie des dernières îles qu’on laissait dans notre sillage. Nous voilà donc en route pour 2 jours de navigation réputée comme agitée parfois. Il n’en sera rien, la mer restera parfaitement lisse, seulement animée parfois d’une petite houle qui berce. On file donc sans encombre jusqu’aux abords de l’île St Paul, classée réserve naturelle intégrale depuis 4 ou 5 ans, et interdite donc à tout débarquement. Seuls quelques scientifiques ont obtenu une autorisation pour y faire des prélèvements sous-marins pendant 3 jours, correspondant à l’escale à Amsterdam. Nous les y déposons donc lundi au petit matin, et découvrons  cette île au relief incroyable ; il s’agit d’un minuscule volcan qui a émergé des eaux il y a quelques centaines de milliers d’années. Son cratère central s’est affaissé au cours d’une éruption qui a soufflé tout le versant est, et qui offre ainsi une passe dans sa muraille, ainsi qu’une zone centrale maintenant immergée. Ce profil particulier alimente l’imaginaire de tous les passagers, car on croirait y voir l’île mystérieuse de Tintin ou bien quelque atoll oublié en plein océan qui abriterait des animaux mystérieux et anciens, échappés du crétacé ou du jurassique ! C’est d’ailleurs presque le cas, puisque l’île est un refuge pour certaines espèces d’oiseaux endémiques qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Elle est à ce titre un terrain d’exploration exceptionnel pour les chercheurs. Ils sont donc très excités à l’approche des côtes, impatients de débarquer enfin. Au-delà du décor naturel très particulier et source de fantasmes, l’île a aussi été le siège d’histoires assez effrayantes. Au début du XXe siècle, une entreprise de conserves, française, et aussi diriger par les frères Bossières (cf. un des épisodes précédents), décide d’y implanter une pêcherie de langoustes, ces dernières étant particulièrement abondantes dans ces eaux ; ils y ajoutent une usine de conditionnement et commencent à utiliser ces installations durant l’été austral. L’inconvénient principal de cette utilisation saisonnière est l’important travail de remise en fonctionnement à chaque début de campagne ; aussi, ils décident d’y laisser quelques employés chaque hiver pour réparer au fil de l’eau les dégâts éventuels ; malheureusement pour eux, la crise industrielle est passée par là, maintenant à sec les caisses de la langousterie qui préfère alors économiser un A/R en bateau et ne va donc pas récupérer les pauvres ouvriers. Ils attendront 4 ans je crois le passage d’un bateau, 4 ans au cours desquels la plupart d’entre eux mourront, y compris un nourrisson ayant vu le jour pendant cette période. Il existe encore d’autres histoires du même genre, contribuant au mythe d’une île maudite, où l’appétit financier des hommes vint s’échouer.
Nous y laissons donc la petite équipe, qui va y jouer les Robinson Crusoé ; le confort est certes rustique (cabane en bois sur place), par contre leur stock de vivres est des plus luxueux : au menu durant ces trois jours pour eux : magrets de canard, vins rouge grand cru, foie gras, coquilles saint jacques… c’est presque indécent quand on se rappelle que les ouvriers de la langousterie qu’on appelle « Les oubliés de St Paul » sont presque tous morts de faim !
Le Marion continue sa route vers Amsterdam et 4 heures plus tard, nous découvrons ce bout de caillou, lui aussi volcanique, dépasser de notre horizon. C’est la plus petite des îles subantarctiques françaises habitées, elle doit faire 50 km2 . Cette île est un grand plateau incliné à 15° environ, culminant sur sa face ouest à 800 m et des brouettes, ceinturée de falaises en très grande partie. C’est le royaume des otaries, qui occupent toutes les zones littorales pas trop escarpées. Elles sont des milliers ! C’est actuellement la période de reproduction qui suit de près celle des naissances ; aussi, il y a beaucoup d’activité sur ces plages en pierres volcaniques noires : les mâles célibataires paradent devant les femelles, les bébés, qu’on surnomment les « poups » s’astiquotent entre eux, le tout dans un brouhaha de cris étranges allant de l’aboiement au gémissement, de l’éternuement au miaulement, comme si ces animaux n’arrivaient pas à se décider pour un cri leur appartenant !
Je n’aurais pas le plaisir de découvrir tout de suite ce morceau de volcan, étant d’astreinte médicale sur le bateau le premier soir et la première nuit…Mais dès le lendemain (nous en sommes au mardi), me voilà dans l’hélico puis hop je me dégourdis les pattes sur la terre ferme de la « nouvelle Amsterdam ». C’est la journée rando d’OP3 ! On va crapahuter du matin au soir, pour découvrir au mieux cette île. On commence par une promenade vers le bois de Phylica. Ces arbres sont les seuls des terres australes et la rencontre est d’autant plus émouvante : on voit d’ailleurs les Kerguéléniens, privés d’arbres pendant plus d’un an pour certains, venir toucher le bois avec émotion, et profiter de la sieste pour s’en faire un hamac improvisé : ils ont l’air tellement heureux de retrouver des arbres que c’en est troublant, et pourtant j’ai l’impression de pouvoir les comprendre ! On continue ensuite notre rando, après un délicieux buffet d’accueil à midi (je n’ai jamais vu autant de langoustes de ma vie dans la même pièce ! et je ne parle pas des hivernants plein de coups de soleil) . Direction la station de chimie atmosphérique : en effet, Amsterdam est une des îles du monde les plus éloignées de tout continent ; à ce titre, les analyses d’air atmosphérique sont très précieuses, exemptes de toute variation ponctuelle liée à l’activité immédiate des hommes : elles reflètent alors plus précisément des grandes tendances et sont donc très utiles pour l’analyse du réchauffement climatique entre autres ! On y mesure donc les concentrations en CO, CO2, DMS (diméthtylsulfure). Ce dernier est liée au métabolisme du phytoplancton et contrebalance l’effet de serre du CO2 ; son activité augmente avec la température, ce qui fait dire à certains scientifiques qu’on pourrait finalement atteindre un point d’équilibre où l’effet de serre serait compensé, grâce à l’activité du phytoplancton, augmentée par le réchauffement lui-même…intéressant. Ensuite, on continue notre balade par un passage autour des cratères d’Antonelli ; cette île, considérée comme un volcan actif, est parsemée de cratères ; la dernière éruption a d’ailleurs eu lieu il y a moins de 100 ans, et la base actuelle s’est même construite sur la principale coulée de lave en résultant ; on la devine encore quand on aborde l’île, de loin, car elle ne s’est pas totalement végétalisée. Elle forme donc une grande langue, surélevée et assez plane, sur laquelle se sont édifiées les premières bâtisses. Nous voilà donc au refuge Antonelli, qui domine superbement un petit cratère, bien régulier, qui émerge en plein milieu de l’île. On rentre ensuite prestement à la base, car Anaïs, le médecin sortant, veut me montrer la MAE (mare aux éléphants), la plage juste devant la base, qui abrite une grande colonie d’otarie. Je découvre ensuite les installations existantes, procurant aux hivernants un confort certain : terrain de tennis, bibliothèque, salle de gym et musculation, salle de musique, pièce de vie commune avec babyfoot et billard, le tout construit en dur, à la différence des autres bases, où l’essentiel est préfabriqué. Je visite ensuite l’hôpital de la base : spacieux et très bien agencé, Joëlle semble y trouver ses marques facilement. Pas le temps de rêvasser car la rando à repris : direction le refuge Ribaut pour y passer la nuit avec une partie des passagers touristes, Luc, JB (BibKer sortant), et Jako un biologiste de la réserve naturelle. Ce refuge, très confortable, surplombe une autre colonie d’otaries, que nous aurons tout le loisir d’observer pendant la soirée. Il faut traverser encore un autre tas d’otaries pour accéder au refuge. Pour cela, on doit s’armer d’un bâton car les otaries sont assez féroces, ou démonstratives au moins, et dès qu’on les approche, elles se dressent, grognent, nous font face, et attendent le dernier moment pour se déporter. On se fait quelques frayeurs ! Petit dîner frugal, puis quelques blagues bien envoyées de Pierre, un des touristes les plus marrants ; il doit avoir 70 ans bien sonnés et vient de Marseille : il a un accent terrible et une escarcelle de blagounettes très sympas. On se poile un bon coup, on se montre nos plus belles photos des derniers jours, puis au dodo, le grand air ça fatigue ! A dix heures tout le monde roupille, ou presque…car se trouve parmi nous Paul, le plus grand ronfleur de tous les temps, capable de faire bouger une cloison rien qu’avec ses ronchi : balaise !
La suite de ce joyeux périple est assez prévisible : voyons là du point de vue de l’OPEA (le grand chef de la logistique de l’OP : officier portuaire des explorations australes) : 7 :00 touristes retour base ; 9 :00 hélico : base>Marion ; 13 :00 transit AMS>SP ; 17 :00 plongeurs retour Marion (zodiacx2 et 4 A/R) casiers langoustes à remonter ; 19 :00 transit SP>AMS puis hippo SP ; 10 :30 hélico MD>base ; 12 :00 buffet AMS
Hop, là j’interviens, arrivée de l’OPEA à l’hôpital de bord ce matin à 9 :15 (on était en train de tester un nouvel appareil de biologie) : bon, humm, Martin, bon enfin voilà quoi, c’est sur toi que ça tombe, tu dois faire l’astreinte médicale à bord pendant le grand barbecue de fin de mission à AMS…enfin, tu comprends, voilà, pas le choix…difficile pour moi, c’est sûr… pas d’alternative…une autre fois…y’aura du tartare à bord…c’est toujours compliqué…
Enfin voilà, me voici cloué à bord…nous serons 3 dans la salle du restaurant à midi, et en plus le maître d’hôtel m’avait oublié dans le décompte donc j’aurai un vieux steak tartare à moitié congelé et en plus des réprimandes du maître d’hôtel…sniff ; heureusement, mes commensaux étaient très sympa et le déjeuner fut chouette ! 
J’étais un peu véreux car hier soir déjà, au moment de récupérer les plongeurs à St Paul, des tous en hélico furent organisés pour survoler l’île et il fallait aussi un médecin d’ »astreinte »…devinez qui ce fut-ce ? héhé,  ce fut bibi ! Enfin, je me dis que j’aurai encore pas mal d’occasion de faire tous ces petits trucs agréables…
Retour des hivernants à bord après le repas de fin d’OP à AMS : la déchirure du départ semble profonde ; les 3 ou 4 hivernants qui montent à bord sanglotent sur le pont supérieur, en voyant leurs collègues massés sur la DZ pour un dernier au-revoir : l’émotion est palpable et dit beaucoup de la belle aventure que chacun a vécu lors de cette mission !
Le Marion, imperturbable métronome, reprend sa route…vers Maurice, dernière escale avant la Réunion, permettant de faire le plein de gasoil. Comptez 4 jours de mer environ. La houle forcit, certains sont déjà malades, les verres à pieds ont aussitôt disparu au dîner…
On s’apprête donc à faire Noël en plein Océan Indien… et en maillot de bain, car les température remontent très vite, il faisant 18° aujourd’hui malgré plus de 30 nœuds de vent !
C’est difficile de s’imaginer la métropole en hiver, les décorations de noël dans les rues, la frénésie des cadeaux, des traîneaux, des grands-parents, des petits-enfants, des sapins, des lutins, des boules, des moules (qui mange des moules à Noël ?), du saumon, des marrons. Ici pas d’odeur de sève, pas de paillettes de fausse neige, pas de sorties emmitouflés, pas de cérémonie à organiser…On est hors du temps, hors des contraintes, hors des rituels, loin des familles, loin de l’hiver ; seuls les mails nous rappellent qu’on fait partie du même monde ;  c’est assez étonnant, et le plus bizarre c’est qu’on l’oublie très vite et que ça n’a pas l’air de gêner grand monde ; comme si on pouvait s’habituer assez rapidement finalement à un environnement qui a radicalement changé, à un nouvel ordre établi, à une nouvelle microsociété de laquelle on fait partie, comme touriste/équipage/scientifique/bib/…
Ici il est 22h15 et le roulis ça fatigue, ce soir je ne fais pas la jigue.
Je disparais plutôt dans mon lit, me cache dans mon drap et ses plis,
Et vais tenter de m’endormir prestement, pour doubler mon voisin et ses terribles ronflements !
La bise ! Portez-vous bien.
Martin, 37°S 77°E.

AUX ORIGINES DU MONDE vendredi 16 décembre


 Dédale de fjords dans le golfe du morbihan
 Anse du laboureur et son joli refuge
 En rando autour de Laboureur
 idem
 pareil
 encore
 un adorable piaf (Jean-Louis, quelques précisions peut-être?)

Mercredi matin : lever 6h30, on se frotte les yeux, la nuit a été un peu courte…On cherche à tâtons un sac à dos, assez grand et robuste pour trimballer un sacré bazar : 36 sandwichs pour ravitailler les 2 groupes de 9 personnes en vadrouille depuis la veille à travers Kerguelen, une trousse de secours, l’appareil photo, la crème solaire ( !! soleil ardent sur l’archipel), et le nécessaire pour 24h de bivouac ! Un solide petit-déjeuner puis on file sur la DZ attendre l’hélico qui va nous emmener dans un coin reculé de Kerguelen, île déjà reculée : imaginez alors le dépaysement ! Au bout d’un dédale de fjords, après 10 minutes de vol, nous voici au cœur d’un décor minéral incroyable : un entrelacs de petites mers intérieures, résurgences du golfe du Morbihan, qui progresse sur plusieurs 10aines de km dans les terres ! La végétation est assez rare, sans arbres, seulement des lichens et des mousses multicolores, du rouge foncé au vermeil en passant par toutes les teintes de ver. Cette végétation rase mais dense recouvre une série de montagnes et de canyons, délimitant des vallées parfois inondées, par des torrents d’eau douce ou des bras de mer. Au creux de l’arrondi d’un lac, se trouve un petit chalet de bois, fraîchement repeint en rouge, qui nous abritera pour la nuit ; ses fenêtres donnent l’eau et ses fondations sont presque immergées, permettant d’incroyables pêches aux moules, presque sans bouger de la terrasse ! On en fera d’ailleurs un beau festin le soir même. Ce paysage naturel intact, paisible, n’est troublé que par quelques hurlements de goéland, en pleine période ponte, ou parfois par le cri étrange d’un gorfou sauteur, sorte de petit manchot rigolo, dont une colonie est installée à 3OO mètres du refuge.
2 rotations hélico et le groupe est au complet : Luc et Hélène, guides de la réserve naturel, encadrent 4 touristes : Paul et Henriette, un sympathique couple de retraités venus d’Angers, sur les traces de leur fiston, volontaires civils à Amsterdam il y a une 15aine d’années, qui viennent faire là un voyage-pèlerinage, qu’ils attendent depuis des années ; Gisèle, jeune retraitée d’Aix en provence, ancienne traductrice à l’ONU à New York, dynamique et enthousiaste, très avertie sur les questions de botanique et d’ornithologie ; et pour finir, Jacqueline, 82 ans, infirmière à la retraite, venue tout droit de Marseille et qui met à profit son temps libre pour crapahuter dans le monde entier. Joëlle (future BibAms) et moi assurons la médicalisation de ce petit groupe et en profitons pour découvrir ce bel endroit de Kerguelen, le lieu-dit « Laboureur ».
Nous passerons 24 h sur place. Une grande randonnée nous permet de cheminer à travers les vallées et montagnes environnantes, assez douces et absolument sauvages ; rien, en dehors du chalet, ne rappelle la présence humaine ; tout est fait pour y limiter au maximum son impact (déchets ramenés, pas d’électricité, vaisselle à l’eau des torrents, savon noir, pas de chauffage…) et laisser la nature s’y épanouir. L’île est donc un vrai sanctuaire, isolée, à plus de 2500 km d’un continent, ignorée des routes commerciales, protégée par son climat rigoureux. Cependant, nous avons la chance de nous balader sous le soleil, qui restera présent pendant toute l’escale kerguélénienne ! Nous occupons la fin d’après-midi à observer les gorfous sauteurs, qui se déplacent vraiment en sautant de pierre en pierre comme des petits kangourous à l’allure étrange, et noirs et blancs. On tente même un bain de mer, sans combinaison, le soleil étant presque ardent. Seule Joëlle y réussira ! En même temps, venant de Belgique, elle a été habituée à la mer du Nord !
Puis notre petite troupe se prépare à dîner, s’organisant gentiment, chacun se trouvant un petit rôle ; les moules locales sont délicieuses et accompagnées d’un Muscadet frais, le grand luxe quand on est à environ 14 000 km de la métropole. Suit un gigot d’agneau de Kerguelen, à la viande fondante et garantie bio ! On admire ensuite le coucher de soleil sur l’eau des fjords. Cet instant, d’ordinaire fugace, semble ici s’étirer infiniment, le soleil du grand sud se rapprochant très doucement de l’horizon ; il durera presque 2 h, se couchant enfin vers 21h30 pour se lever 6 h plus tard ! Direction le dortoir commun, où les ronflements de Paul font déjà trembler les fondations !! Après une courte nuit (lever à 4h45, arghh) c’est déjà l’heure de reprendre l’hélico pour retourner sur le Marion ! Le pilote nous gratifiera d’un mémorable slalom entre les piliers rocheux de cette enfilade de fjords, zigzagant dans ce décor irréel (la vidéo est terrible, genre star wars sur la planète  des créatures vivant dans les forêts).
Arrivés à bord, on découvre que le bateau accueille pour la journée une petite partie des hivernants de Ker, venus à bord 24 h pour se changer les idées ! J’aurai d’ailleurs ensuite le plaisir de discuter avec le plombier de la base, réunionnais voyageur, rompu au tourisme dans l’océan indien, qui m’expliquera les combines pour voyager 12 à 18 mois en Australie avec un visa mixte (tourisme et travail ; héhé, pas mal…note pour plus tard). L’après-midi, direction la timonerie pour une démonstration de navigation ! En effet, le commandant a pris les commandes pour manœuvrer le navire dans le dédale étroit de fjords qui nous conduira (vendredi matin) jusqu’à Port Jeanne d’Arc (prononcez PéJiDa). Cet endroit assez étonnant, est une ancienne usine baleinière, la seule qu’il n’y ait jamais eu sur le territoire français, qui a fonctionné entre 1908 et 1929 environ. C’était l’époque où deux frères de métropole, les Boissières, avaient obtenu 50 ans de concession sur St Paul et Ker. Après plusieurs projets industriels échoués, ils ont l’idée de créer une usine baleinière, fournissant de l’huile  aux villes récemment équipées de lampadaires…Ils sous-traitent cette activité auprès d’une entreprise scandinave qui viendra construire des usines, en kit (oui, oui, on a tous fait la blague Ikéa), permettant de raffiner la graisse des mammifères, fonctionnant 24h/24, y compris au cœur de l’hiver. Cette entreprise fera faillite après une 20aine d’années,  les ressources s’épuisant et l’électricité faisant son apparition. Il en reste maintenant les reliefs, restaurés à certains endroits, qui donnent au site une atmosphère un peu lugubre. On s’imagine facilement la rudesse des conditions de travail, l’hostilité du climat, et l’incroyable solitude que cette petite communauté d’hommes devait ressentir. Le paysage est toutefois dominé par la silhouette massive et bienveillante du Marion, qui semble nous rappeler à notre époque et nous offrir la garantie d’un nid douillet à portée d’hélicoptère…Ah,  le confort du monde moderne !  On se sent de bien pleutres aventuriers !
Encore une après-midi de manœuvres et d’opérations logistiques, et on récupère à bord une bonne 10aine d’hivernants de Ker, qui viennent de passer environ un an sur base. Parmi eux, JB et Yanis, les deux Bib (BibKer et Bibou, ce dernier étant un interne, occupant le poste de médecin adjoint).Yanis est un ancien copain de promo lyonnais, durant l’externat ! Je ne l’avais pas vu depuis 3 ans, mais on s’est reconnu immédiatement, la rencontre paraissant presque naturelle ! Puis c’est le départ de Ker, direction Ams ! Il faudra deux jours de navigation, direction plein Nord, pour rallier St Paul dans un premier temps, où nous déposerons une équipe de plongeurs scientifiques. En attendant, chacun raconte son expérience de Kerguelen. On met en commun nos émotions, nos surprises, nos trouvailles et nos photos. A la salle des machines, les moteurs chauffent, la vitesse de croisière est atteinte. La mer est calme, le soleil toujours vaillant, et c’est sous une lumière limpide que nous saluons Kerguelen ! Je la reverrai pour ma part dans moins de 3 semaines, OP4 débutant 48 h après le retour d’OP3 !
En attendant, je vous envoie quelques bises !
Portez-vous bien.
Martin, quelque part au sud de l’océan indien (j’ai oublié de passer à la timonerie pour le relevé GPS).

jeudi 29 décembre 2011

TOUJOURS PLUS AU SUD samedi 10 décembre

 L'étrave avance, imperturbable, à 14 nds, vers des eaux plus sombres et plus froides...
 La luminosité change constamment, décrivant toute la gamme des gris.
 Dans cette immensité sauvage, l'hélico semble minuscule.
 Et se fait supplanter en tout par les albatros (habileté, tolérance aux vents, vitesse !)
 Arrivée à Kerguelen...
 Idem.
 A port-aux-français, base de Kerguelen.
 Excusrion en zodiac vers le cratère de l'île St Paul.
Idem.

Le Marion vogue, indolent, prêt à défier la brutalité de l’océan ; Sa coque solide continue à fendre les eaux, toujours plus sombres et glacées à mesure qu’on approche de Kerguelen. Nous avons repris notre route hier soir vers notre 2è escale. Ce transit est redouté, la mer y étant souvent plus forte. Nous avons pu le constater rapidement, la houle a grossi, la vaisselle a changé, les verres a fond plat ayant remplacé les verres à pied, des nappes maillées antidérapantes ont été rajoutées. Notre stock d’anti-nauséeux en a pris un coup, des chaises sont restées vides aux repas ;  mais globalement, les conditions de mer sont très correctes, Gégé nous l’a bien dit « c’est d’la mer d’fillettes… ». En plus, on est maintenant assez bien amarinés et pour moi la nuit et la journée ont été plutôt agréables.
Dans le bateau, on continue de faire connaissance ; j’ai eu le temps avant-hier de parler longuement avec Jonas, un finno-belge qui fait ses études à Brest (belle trajectoire !) en 3è année de doctorat de microbiologie marine : il est embarqué avec nous pour recueillir des échantillons d’eau sr certaines sources chaudes à Kerguelen et aussi je crois dans la baie de l’île saint Paul où une mission sous-marine aura lieu pendant les 3 jours d’escale à Amsterdam, toute proche. Le même jour, j’ai aussi rencontré une personne de l’ESA (European Spatial Agency), qui s’arrête quelques mois à Kerguelen pour ajuster les appareils de mesure, servant de relai entre certains satellites et les centres de traitement des informations, situés en France, Afrique du Sud,…Il me parle aussi de la Guyane, et de Kourou, où il a longtemps travaillé : le dépaysement ne s’arrête donc jamais !!
Les soirées au Forum sont de plus en plus sympa, à mesure qu’on se connaît mieux à bord. C’est vraiment génial de rencontrer tous ces gens, tous aussi curieux les uns que les autres, qui vont autant se raconter qu’ils vont chercher à mieux connaître leur interlocuteur : c’est vraiment un échange permanent, le bateau abritant des personnes de tous les âges, de tous les horizons, et mélangeant des scientifiques, des logisticiens, des plongeurs, des marins, des ouvriers, des techniciens, des militaires, des étudiants volontaires civils… Une incroyable mine d’informations et la promesse d’un paquet de belles rencontres !! C’est aussi une ouverture sur le monde incroyable, la plupart de ces gens-là ayant beaucoup bourlingué dans le cadre de leur travail (pôle nord, Mongolie, Afrique, Polynésie, antarctique, Amérique du Sud…).
Par ailleurs, le programme de notre escale à Kerguelen se précise : je viens d’apprendre que je vais accompagner un groupe de 5 touristes, en compagnie du guide de la réserve naturelle, Luc, d’un autre agent de la « RésNat », d’un personnel des TAAF : nous allons tous passer deux jours au lieu-dit « le laboureur », quelque part sur Kerguelen pour randonner, puis dormir en cabane !! Ce sera mercredi 14 et jeudi 15 ! Chouettos !
A l’hôpital, nous avons enfin fini les inventaires des touques qui seront héliportées près des différentes cabanes qui parsèment Kerguelen et aussi dans un refuge au pied du glacier. Ce dernier sera habité pour 3 semaines par 3 glaciologues au cours d’un protocole de recherche. Aussi, nous avons détaillé précisément le contenu des bidons qui seront à leur disposition, classant les médicaments par famille, collectant le nécessaire pour former des petits sacs quand ils iront en randonnée, et leur fixant RDV demain pour un petit cours particulier de premiers secours car ils seront en autonomie complète pendant 3 semaines, sans médecin.
Voilà, voilà, la petite vie continue à bord, et nous apprenons aussi à s’adapter à la houle, plus forte depuis 24 h ! Entraînement impératif pour réussir à faire pipi proprement même en cas de grosse secousse, gros travail aussi pour arpenter les coursives sans se cogner à chaque pas aux cloisons, concentration particulière pour réussir un pansement en équilibre, les 2 mains prises par les instruments, technique spécifique indispensable pour réussir à se laver les pieds sous la douche sans se vautrer lourdement, habileté indispensable pour réussir à se raser sans coupure !
Nous avons ajouté une grosse part d’Est dans notre route sud  à tel point que nous allons changer d’heure cette nuit : nous étions encore à l’heure de la Réunion jusque-là soit (+3h par rapport à la métropole) : cette nuit nous avançant encore d’une heure nos montres pour se caler sur le fuseau du Pakistan : quand il sera 23 h en France, il sera ici 3 h du matin !
Le voyage continue, les moteurs tournent rond, les passagers continuent d’écarquiller les yeux comme autant de grands enfants ébahis !
Bien à vous,
Martin, position actuelle 47°54 Sud 59°13 Est

BAIN DE SOLEIL A KERGUELEN mardi 13 décembre


 Baie de la table



 Mt Ross


Hier je me suis réveillé au cœur de l’archipel des Kerguelen. J’en fus presque surpris, ayant été un peu dépassé par  le déroulement inexorable de nos journées de mer ! Un peu après tout le monde, déjà en train de s’émerveiller du paysage, je déboule sur le pont E, et découvre enfin cette île qu’on dit Désolée : quel spectacle saisissant ! Le bateau se trouve au milieu de la baie de la Table, allusion à un immense rocher laminaire signalant l’entrée de la passe. Ce golfe est ceint par un défilé minéral de sommets enneigés, acérés, parfois séparés par un glacier scintillant de bleu, qui vient mourir près des eaux de notre mouillage. On aperçoit la calotte glaciaire de l’île, qui couvre plusieurs dizaines de kilomètres et forme un grand plateau lisse, servant de base commune aux massifs montagneux alentour. Le Marion s’est d’ailleurs arrêté ici pour héliporter 3 glaciologues qui vont s’y installer pour 3 semaines ; c’est l’occasion aussi d’aller ravitailler en touques plusieurs refuges installés au seuil de cet univers gelé.
En fin de matinée, le navire lève l’ancre pour mettre le cap sur le base de Port-aux-français : il s’agit donc de contourner l’île depuis sa partie sud/ouest jusqu’à la baie du Morbihan où se trouve la base, tout à l’Est ; ce petit tour a lieu dans le sens antihoraire et permet au passage d’admirer les pentes du Mont Ross qui s’offre à nous au gré d’une éclaircie bienvenue, au cours du déjeuner. Puis tout l’après-midi, le pont avant se remplit progressivement des futurs Kerguéléniens, hivernants ou campagnards d’été, excités et impatients à l’idée de découvrir leur nouveau monde pour 1, 3, 6 ou 12 mois. Ils ont fêté dignement leur dernière nuit sur le bateau, et l’agitation est aussi alimentée par une fatigue certaine. La côte sud est magnifique. On contemple une enfilade de falaises austères, désertiques, hostiles à la végétation, mais pourtant habitées de quantité d’oiseaux, attirés par les eaux poissonneuses. Nous croisons en effet à la frontière entre les eaux glacées de la mer polaire et les eaux chaudes du sud de l’océan indien ; aussi, il existe une vraie explosion de vie microscopique sous-marine, née d’une incroyable abondance de plancton, au départ d’une longue chaîne alimentaire, allant du krill aux orques, en passant par les mollusques, coquillages, poissons, otaries, manchots, baleines et j’en passe. Nous pouvons d’ailleurs apercevoir à la proue un spectacle aquatique proposé par une bande de gorfous sauteurs (dits « macaroni ») qui nagent dans la vague d’étrave du Marion, alternant courses sous-marines et sauts synchronisés : on dirait presque un ballet de petits dauphins à plumes ! La fin de journée est plus calme, les kerguéléniens ayant été rattrapés par la fatigue accumulée…On en profite pour passer une soirée très tranquille au bar, où la discussion s’oriente rapidement vers les motos anciennes, passion commune avec Patrick, un des plongeurs scientifiques à bord. Celui-ci habite d’ailleurs à Quimper, ce qui nous promet des virées motorisées sympas, au retour en métropole !
Aujourd’hui, je suis resté à bord pour assurer la permanence médicale car beaucoup de manœuvres ont lieu sur le pont ! Le bateau est tout vide…pffffuitt ! Les  150 personnes encore à bord il y a quelques heures se sont volatilisées : laissées à Crozet ou débarquées à Kerguelen ! A table aujourd’hui nous étions 10. On croirait la maison des grands-parents à la fin août : les couloirs sont vides, les chambres désertées, une couverture pliée à la hâte signalant un récent passage, une chaussette oubliée, une serviette encore froissée. Les personnes restantes à bord sont calmes, tranquilles, profitant de cette accalmie après des jours plus animés. L’ambiance change forcément un peu : l’atmosphère colonie de vacances flottante a disparu et laisse place à une certaine intimité, presque familiale : on profite de notre petit nombre pour déjeuner -encore- mieux : steak frites saignant et mousse au chocolat maison à midi, carpaccio de légines et agneau de Kerguelen ce soir ; le commandant offre sa tournée de vin blanc  et participe volontiers à la saine convivialité au sein de l’équipage (dont j’ai l’impression de commencer à faire partie).
Les opérations d’approvisionnement continuent, à grand renfort de grues, barge flottante, hélicoptère, manœuvres astucieuses, le tout précisément orchestré par les chefs logisticiens, rompus à ce genre d’exercices imposés. Cependant, depuis notre mouillage, on ne peut malheureusement rien distinguer de la probable agitation venant de la base, en partie cachée par le discret épaulement d’une colline vert sombre qui vient s’épuiser à fleur d’eau, offrant ainsi une certaine intimité au petit village de préfabriqués. On voit simplement l’hélicoptère plonger derrière ce rempart  naturel, puis revenir, délesté alors de quelques visiteurs ou d’un lourd ravitaillement. On peut tout juste imaginer quelle ambiance doit régner au cœur de la plus grande des petites cités françaises des terres australes : 120 irréductibles hivernants sont installées ici, parfois plus durant l’été austral, un peu moins au plus rude de l’hiver. Ils forment la communauté française la plus au sud du territoire, flirtant avec le 50° parallèle sud !
Le temps est presque irréel : le soleil radieux, le ciel limpide, le vent timide, l’eau cristalline et lisse ! On prend des bains de soleil sur le pont supérieur, qui nous offre alors l’un des plus magnifiques perchoir de lecture et d’observation : le paysage qui s’offre à nous est unique : la baie dans laquelle nous mouillons (le golfe du Morbihan)  est quasiment fermée, la passe étant très étroite : l’eau est donc aussi immobile que celle d’une grande mare, et le paysage terrestre occupe presque tout l’horizon : celui-ci est découpé par des pics escarpés, scintillant de leurs neiges éternelles, qui s’adoucissent parfois en montagnes moins hostiles voir en collines herbeuses ;  l’image déjà saisissante est encore amplifiée par son double à peine flou, renvoyé par les eaux calmes de la baie. Ce tableau qu’on pourrait croire surgi de la palette d’un peintre inspiré et réaliste est dominé par le mont Ross qui culmine à 1900 m environ. Il est fait d’à-pics rocailleux, d’empilements laminaires abrupts, de blocs de glace et de neiges accrochés à ces parois vertigineuses. La grande dalle rocheuse et verticale qui forme son versant sud semble surgir directement du golfe et rend plus grande encore l’impression de hauteur. Son ascension a été accomplie plusieurs fois déjà, y compris par des alpinistes français, et mon esprit semble ajouter insidieusement son nom à la liste des aventures à concrétiser un jour…
Demain , j’aurai la chance de grimper à mon tour à bord de l’hélicoptère, qui nous déposera au lieu-dit « Le laboureur », pour une journée de rando en compagnie de Luc et de 5 touristes, avec lesquels nous passerons ensuite la nuit en cabane…Ca s’annonce magnifique !
Je vous embrasse.
Martin, 49°21 SUD 70°12 EST