jeudi 19 janvier 2012

Dimanche 15 Janvier : aLOR'QUE l'on ne les attendait plus

  
Départ de la Réunion, Samedi 31 décembre
Une bataille d'eau géante a lieu au bout de la coupée...
Départ de la Réunion le 31 d&cembre.
Au port de la Réunion avant OP4.
Pareil.
Séance de coiffure.

Nous avons vécu un très beau samedi, par ici, dans notre coin d’océan indien. Nous mouillions (difficile à dire si on veut prononcer toutes les lettres !) devant la base d’Amsterdam durant cette journée. Le bateau presque vide, j’en profitais pour terminer certaines tâches laissées en souffrance à l’hôpital : finir d’installer le Réflotron, cet appareil permettant des analyses biologiques express et qui nous avait déjà posé des soucis lors d’OP3 (odeur de brûlé peu encourageante, pas de procédure d’allumage, remise hors tension automatique…). Cette fois-ci, il démarre correctement après une réparation rapide à l’hôpital de St Pierre ; cependant, il n’accepte aucune nouvelle analyse biologique car une bandelette semble coincée dans son antre…Après une matinée de bricolage, je comprends qu’il s’agit d’un mauvais contact du système de détection au sein du module d’accueil des nouveaux échantillons sanguins. Et grâce à une petite astuce mécanique, revoilà l’appareil qui affiche un enthousiasmant « checking en cours » puis un très intéressant « prêt pour nouvelle analyse, insérer bandelette» ! Me voilà donc en train de me faire une auto-ponction veineuse pour teste cette nouvelle machine ! Le plus dur est d’installer seul le garrot…Enfin, après tous ces efforts, je suis très heureux de constater que je présente une biologie sanguine conforme à la normale (Amylase, glycémie, urée, ASAT, ALAT, BILI, Hémoglobine, CREAT, Acide urique et même GGT… ! et j’en passe) ! Encore un peu de rangement, la création d’une fiche d’aide à l’utilisation de l’automate pour mes successeurs (bientôt une mission océanographique avec un nouveau médecin à bord), la préparation des commandes pour ravitailler l’hôpital de bord et les districts…Je me lance aussi dans la rédaction de mon compte rendu d’activité médicale et retrouve avec émotion le tableur Excel, les colonnes de chiffres, les statistiques, diagrammes et camemberts…Sensation étrange de retour en arrière, lorsque je préparais ma thèse juste avant de décoller pour les TAAF…
Bref je ne vois pas vraiment le temps passer quand j’entends ce message un peu fou diffusé par les haut-parleurs du bord : »Orques visibles depuis le pont arrière bâbord. » Incroyable ! Je grimpe 4 à 4 les marches qui me séparent du pont E et de l’accès à la coupée puis au pont arrière. La moitié des passagers du bateau, tous revenus d’Amsterdam quelques minutes auparavant et sans que j’y prête attention, est réunie et profite du spectacle ! Certains ont grimpé sur la DZ, d’autres se sont hissés sur des tas de cordes, sur la manche à gasoil, sur des casiers de pêche, qui encombrent le pont arrière ! Les jumelles sont brandies, les appareils photos frétillent : à une 20aine de mètres du bateau, un groupe d’orques  fait un festin, surveillé de près par une foule d’oiseaux, attentifs aux moindres reliefs de leur repas ! Pendant une demi-heure nous verrons un ballet magnifique d’orques faisant surface prêt du bateau, nous montrant leurs immenses nageoires dorsales et leurs singulières taches blanches. Ce spectacle unique, celui de la nature dans son aspect le plus sauvage, le mieux préservé, est vraiment saisissant ; on voit ainsi avec émotion ces animaux étonnants, puissants, véloces, agiles, gracieux…malgré leur gabarit si imposant. Les orques forment un vrai groupe social aux règles bien établies, où l’entraide et la discipline sont fortes, où l’apprentissage et les jeux ont une place centrale, transmis toujours par la matriarche, véritable chef de clan.
Immédiatement après ce moment magique, le commandant nous annonce l’appareillage du Marion, et nous indique son cap : Entrecasteaux ! Ces 4 syllabes évoquent pour tous les gens à bord la promesse d’un autre spectacle splendide ! Car Entrecasteaux est le nom donné aux immenses falaises qui bordent la partie Sud de l’île. Hautes de près de 700 mètres, elles abritent de grandes colonies d’oiseaux et sont bordées par des plages où la vie foisonne : otaries, albatros, skuas, pétrels, poissons volants, orques, éléphants de mer…Tout ça sous la lumière douce et chaude du soleil descendant de cette fin de journée radieuse !
Pour alimenter encore un peu plus l’ambiance à bord, déjà excellente, les marins nous montrent le résultat de leur pêche ! Plus de 50 kg de poissons et presque autant de grosses langoustes dodues ! Les prochains repas seront sans doute excellents !
Nous remontons donc à présent tout droit vers La Réunion, le thermomètre monte en flèche, les tenues se raccourcissent ; les rotations sont un incessant yoyo climatique, où l’on passe en quelques jours de la chaleur tropicale à la fraicheur australe pour retourner dans la fournaise réunionnaise ! J’ai donc droit aussi à une ribambelle de rhumes, angines, sinusites, bronchites…le corps a du mal à suivre la marche accélérée des saisons et le changement permanent de latitude !
L’ambiance à bord  a encore changé ; nous sommes à présent 65 passagers + 47 membres d’équipage soit 112 zozos à bord : la logistique est à présent plus complexe, nécessitant deux services aux repas, rendant les coursives, le bar, la passerelle, animés en permanence ! Certains hivernants semblent encore accrochés à leur île, l’air absent, rêveur, l’esprit occupé par les souvenirs de leur séjour austral ; ils errent sur le pont, comme des âmes en peine, comme autant d’habitants singuliers, arrachés à leurs terres.
J’ai fini avec délice les aventures à Kerguelen de Raymond Railler du Baty et me penche maintenant sur la vie dans les bois d’henry david thoreau, livre très prometteur !
Bises du bout de l’océan,
Martin.

Jeudi 12 Janvier : FILER ENTRE LES VAGUES


 Arrivée à PAF
 Idem, mais plutôt les gars cette fois-ci.
 L'hôpital de Kerguelen (SAMU KER)
 Anse des pachas.
 Pareil, en plus zen.
 Aussi, en moins bondissant.
 Entrecastaux (Amsterdam)
 Ils sont forts ces hivernants (crozétiens).

Le commandant est formel,
L’heure du départ a sonné.
Bientôt les mines enjouées,
Deviennent beaucoup moins belles !

On se dit vivement la prochaine.
Les embrassades ensuite s’enchaînent.
Et bientôt il faudra sauter,
Dans l’hélico, son ventre d’acier.

Et tout à coup , c’est fini,
Car en quelques tours de pales,
Le décor s’évanouit,
Au son du moteur qui râle !

Les kerguéléniens voient alors
Leur monde à eux depuis le ciel.
Ce qui leur semblait bien réel
Disparaît doucement, s’endort.

Voilà donc ce que nous avons vécu mardi après-midi ; après un chouette banquet digne des meilleurs épisodes d’Astérix (le chef de district en bout de table, levant son verre pour ouvrir le repas, où les conversations s’animent à mesure que les bouteilles se vident. 140 personnes à table, ça commence à faire ; de mémoire de kerguélénien, c’était là un record ! 

Auparavant, j’ai pu faire une petite balade très chouette autour de la base ; et pour une fois, j’étais tout seul, presque libre comme l’air (j’avais quand même une radio, et un périmètre précis à ne pas dépasser). J’en ai profité pour courir un peu, au milieu des grosses touffes d’azorelles, entre les colonies de mouettes et les gros éléphants de mer somnolant sur le côté du sentier ; je suis allé jusqu’à l’anse des pachas, une petite plage à 20 min de la base, qui abritent de gros éléph’ et quelques manchots ! J’ai aussi pu faire une chouette série de photos (bondissantes), sous une belle lumière, et avec le Marion-Dufresne en fond de paysage !
Puis, très vite, on est reparti de port-aux-français (PAF comme on dit en langage taafien). Cette OP est une rotation express où les escales n’excèdent jamais 36 heures. Nos passages sur base sont donc très courts, semblant juste un moment suspendu au milieu de notre longue route. Juste le temps de se dégourdir les pattes, de saluer les quelques hivernants qu’on connaît, de se promener un peu sur la base, de procéder aux échanges logistiques nécessaires (médicaments, appareils médicaux, récupération des déchets sanitaires, des périmés, des vieilles aiguilles…) et hop ! Retour à bord ! L’ambiance sur le bateau a aussi bien changé ; nous sommes bien plus nombreux (27 passagers au départ, puis 33 je crois et maintenant 54…en plus d’une quarantaine de membres de l’équipage).

Les nouveaux venus semblent très fatigués, probablement par quelques belles soirées de départ ces derniers jours, preuve que la mission se déroulait dans la joie ! Dès le premier soir, la moitié de notre tablée avait disparu entre l’entrée et le plat, bien aidée aussi par une mer formée. En effet, une belle houle nous attendait à la sortie de Kerguelen, sur le plateau sous-marin, au nord de l’île. Cette zone de bas fond amplifie souvent la houle du large, déjà forte en raison d’un petit tsunami à Sumatra il y a quelques jours ! Aussi, j’ai eu une belle série de consultations de gens vomissant au teint verdâtre…Dans cette mer agitée, le bateau a fière allure ; il est bien proportionnée, assez fin, plutôt stable, et semble se jouer des vagues avec agilité ; le commandant a légèrement modifié le cap pour ne pas être travers à la houle et le bateau se comporte ainsi très bien. Les conditions se détériorant encore, nous avons eu droit à une annonce générale réjouissante : « en raison des conditions climatiques défavorables, l’accès à la coupée ainsi qu’aux ponts avant et arrière est interdite jusqu’à nouvel ordre ! ».Rassurant…

Heureusement, juste avant cette annonce, nous avons eu le temps, avec Adrien (mais si, souvenez-vous), d’aller faire quelques plans vidéo à l’avant du bateau : avec une mini-caméra protégée dans son caisson étanche et placée au bout d’une perche, on a pu filmer le long de la coque du bateau, en plongée, pour bien montrer les conditions de navigation ; le résultat est chouette et très réaliste ! Depuis 36 heures, la houle s’est réduite, le vent a faibli (35 nds quand même à la sortie de Kerguélen) et l’accès extérieur a été ré-autorisé.
Aussi, les températures sont remontées, le fond de l’air est doux à présent, l’eau s’est réchauffée…La remontée plein nord est maintenant bien perceptible. Demain matin, nous serons en effet en vue de St Paul, où un petit arrêt est prévu : au programme, tour d’hélico « de souveraineté » (càd que le préfet en profite pour survoler ses territoires et « ainsi affirmer la présence française et par la même participer aux fonctions régaliennes du pays »), pose de casiers à langoustes (en fait l’élément le plus important pour la plupart des gens sur le bateau), tour en zodiac dans la baie du cratère effondré (je vais essayer de m’y glisser…dans le zodiac), puis direction Amsterdam pour la suite de la mission.

Je profite de ces transits plus calmes pour bouquiner (Aventures à Kerguélen de Rallier du Baty) en musique (Beirut, Connan Mockasin, Eddie Vedder, Arcade Fire, Baxter Dury, Radiohead, Erik Satie, The cat empire). C’est d’ailleurs un incroyable plaisir que d’écouter au casque les musiques qu’on aime, accroché au pont avant, en plein vent, en regardant les vagues se fracasser sur l’étrave, au pont de pulvériser dans l’air un paquet d’eau de mer ! Sacrée sensation où l’on se sent bien vivant !Je rentre alors, le sourire aux oreilles, trempé jusqu’au cou, en laissant un chemin d’écume jusqu’à l’entrée de ma cabine… Ca fait bien rire les rudes marins malgaches !

C’est l’heure pour moi de sauter dans mon lit : objectif : lever tôt pour essayer de monter à bord du zodiac !!
Prenez soin de vous ; la bise.

Martin.

Mardi 10 Janvier : DES TEMOINS SILENCIEUX ET EBAHIS

 Base Alfred Faure, île de La Possession, archipel de Crozet.
 Michel, qui faisait parti de la première mission polaire à Crozet
 Préparation d'un vol avec le caméraman (dans l'hélico), le pilote (orange), le directeur de la réserve naturelle.
 Adrien.
 Retrouvailles à Port-aux-français, Kerguelen.
 Application à la lettre du concept d'"instant suspendu".
 Anse des pachas, Kerguelen.
 Base Martin-de-Viviès, Amsterdam.
Mare aux éléphants, Amsterdam.

 Errer, se promener, s’aventurer, se perdre un peu, pas tout à fait, persévérer, crapahuter, se retourner,  et recommencer, un peu à côté. Tâtonner, se retrouver, progresser, avancer encore un peu, pénétrer dans l’inconnu, se balader dans la plus sauvage des natures, entre océan et montagnes. Vadrouiller sur la carte, près de zones encore vierges, jamais arpentées par l’homme, qui sont le territoire exclusif des animaux : rennes, mouflons, oiseaux, éléphants de mer, otaries, manchots rigolos : ici, on est un invité, rentré presque par effraction, on est en sursis, pour quelques heures, semaines ou mois tout au plus, dans le royaume des animaux, on se sent comme un intrus temporaire dans leur domaine. Et c’est donc en savourant d’autant plus ces instants suspendus, magiques, inhabituels, qu’on sillonne ce territoire incroyable, où l’homme est toléré tant qu’il n’empiète pas trop ! Ceux qui savourent ensemble cet environnement se sentent inévitablement complices ; le rapprochement s’opère spontanément car chacun vit les mêmes émotions, le plaisir est partagé instantanément ; nous sommes tous les témoins silencieux et ébahis par ce spectacle permanent. Voilà ce que j’ai pu ressentir encore aujourd’hui, en foulant le sol de Kerguelen. En fin de matinée, je suis libéré de toute obligation, n’étant plus à bord tout en profitant de ma subordination au médecin-chef de Port-aux-français (PAF, le nom de la base de Kerguelen), restée sur base ce jour-ci ! J’en profite donc pour aller me promener à l’anse des pachas. Armé d’une radio, d’un appareil photo et de toute ma curiosité, je prends le chemin de cette petite plage qui abrite quelques dizaines d’éléphants de mer, somnolant nonchalamment, perdus dans leurs bourrelets, si nombreux qu’ils semblent former une combinaison devenue bien trop vaste pour leur propriétaire. Le sentier qui mène à cette plage serpente le long de la côte et offre des points de vue magnifiques sur le Marion-Dufresne, mouillant fièrement une centaine de mètre plus loin. On traverse aussi des colonies d’oiseaux, clouées au sol par le vent violent (30-35 nds), quelques manchots papous qui semblent égarés. On évolue au milieu des azorelles, petites plantes rases aux fleurs d’un rouge sanguin, hérissées de crochets leur permettant de s’agripper à nos vêtements si fortement qu’on les retrouve encore plusieurs jours après. Se promener dans ces grandes étendues sauvages réveille un sentiment puissant, qui semble surgir des profondeurs de soi ; comme une rémanence d’un temps ancien, celui des chasseurs-cueilleurs, où nos ancêtres parcouraient des dizaines de km chaque jour, cherchant plantes et gibiers. Une période où l’homme s’est spécialisée dans la marche et la course, mieux que tout autre animal ; plus endurant que les hordes de chevaux, plus rapide que les ruminants, plus agile que les sangliers, plus robuste que les félins… Se retrouver en plein cœur de la nature semble finalement relever d’une évidence et nous replace au cœur d’un grand et ancestral équilibre. C’est un sentiment vraiment étrange, incongru au départ, agréable aussi, et qui soulève la chape de plomb de nos plaisirs primitifs, archaïques : on aurait envie alors d’attraper une tente, quelques vivres dans un sac, des bottes, des cartes en vrac, pour ensuite partir à toutes jambes dans la pente ! On voudrait n’écouter que son envie première, celle d’aller partout et d’explorer, les vallées, les pics, les sommets, de partir se perdre dans un bosquet, quelques fourrés ! Ensuite, on voit au loin quelques dômes enneigés, le névé d’une montagne, et bientôt on distingue presque la grande calotte glacière qui occupe presque tout la moitié ouest de l’île. L’envie, timide au début, se fait maintenant pressante, irrésistible, et guiderait presque nos pas sur le sentier qui s’élève au loin… 

Bon, c’est là qu’on commence à trop lever le nez, et inévitablement, on glisse dans une souille, le nom charmant donné aux trous d’eau croupie, façonnés par le lent mouvement de reptation des éléph’ quand ils se prélassent dans une zone humide et souvent déclive. Je fais donc une belle glissade sur une pente que j’avais négligée, et sans un rétablissement prompt j’aurais fini le cul dans la boue, situation peu adaptée, 5 minutes avant le déjeuner sur base, avec le préfet et ses huiles ! 

J’ai quand même eu le temps de faire quelques belles photos, entre deux rêveries d’escapade sauvage. J’ai pu aussi apprécier l’ambiance de PAF, l’accueil chaleureux de ses pensionnaires, la singulière amitié qui lie rapidement les gens, le respect et la solidarité affichés par tous, et nécessaires au bon fonctionnement de ce petit village à la cordialité si sincère ! En étant juste de passage lors des escales, on ne peut que survoler cette atmosphère, y goûter du bout des lèvres, mais déjà on ressent la chaleur des hivernants, leur proximité, la puissant amitié qui les lie, et on assiste aux adieux difficiles qui précèdent les dernières rotations de l’hélico, ramenant ceux qui ont terminé leur mission sur le bateau puis à la Réunion et enfin en métropole ; le voyage du retour sera encore long mais leur permettra de faire progressivement le deuil de cette belle expérience, et de se préparer à replonger dans la grande et frénétique société !

Le Marion est aussi une espèce de sas pour tous ces aventuriers d’un temps, arrachés à leurs coreligionnaires.
Et notre petit sas reprend sa route, imperturbable, hermétique à notre sentimentalité parfois un peu exacerbée dans cet environnement si particulier ! Nous voici donc en route ce soir pour Amsterdam, dernière étape de notre tournée des îles.  L’escale kerguélénienne fut aussi belle qu’elle fut courte ! 

Cette île est vraiment fascinante ! J’ai d’ailleurs commencé un très beau livre de Raymond Rallier du Baty (« Aventures aux Kerguelen ») qui retrace les aventures des deux frères bretons, au sein d’un équipage totalisant 8 marins. Etonnant !

J’espère que vous vous portez comme des charmes.
Sincèrement,
Martin.

Jeudi 5 Janvier : QUE DIT L'HORIZON ?


 Albatros planant devant les falaises d'Entrecastaux (Amsterdam)
 On est vraiment loin de tout !
 Les arrivées sur les districts sont toujours chargées d'émotion.
 Un peu d'espace pour se dégourdir les pattes !
 3 zigotos un peu perdus...
 Anse des pachas, Kerguelen.
 Eléonore et Adrien.
 Amsterdam.

Avec Adrien et Cédric.


Regarder l’horizon, bien d’aplomb, et le scruter, plus que de raison : Qu’y lit-on ? Juste le rythme des saisons, le baromètre, ses variations, ou une ligne de fuite bien droite, où semble vibrer l’air chaud, presque moite ? Peut-on y voir autre chose ? Le filtre de ses émotions, son humeur en toile de fond ? Le même paysage peut en effet, un jour ou l’autre nous sembler, triste et froid, sec et gris, ou bien cacher autant de promesses que de maquis.
Regarder l’horizon, bien d’aplomb, et laisser ses yeux se perdre. On peut alors se sentir bercer par le murmure, lent et discret, de la très vaste nature, et même imaginer, après quelques temps, en faire partie, en être un élément. On croirait s’y oublier, on voudrait s’y faire tout petit, et n’être plus remarqué, que par une ou deux souris, hardies. Quelle étrange sensation, de vibrer alors au diapason, de ce paysage vivant, de ce décor chatoyant.
Notre long périple austral nous offre chaque jour, cette possibilité que trop souvent l’on oublie. Celle de contempler ce qui nous entoure, d’y voir la vie, son cycle, son équilibre, les prouesses de l’adaptation, les difficultés de la survie, l’interdépendance et la fragilité ! Toute la journée on sillonne l’océan, sans cesse changeant. Parfois houleux, parfois, tranquille, toujours différent. Abris des petits, terrain de jeux des plus gros, il est tout à la fois barrière et refuge, tranquillité ou déluge. En plus d’être une pouponnière géante, il régule notre climat, atténue ses variations. Il nous permet aussi d’accéder à notre destination, qui elle ne varie jamais : nous voici donc aujourd’hui sur l’île de la Possession!
La petite équipe qui débarque est hétéroclite : en voici les membres, dans l’ordre d’arrivée à Crozet : un ancien sénateur, le préfet Gaudin, enseignant devenu ingénieur puis politicien, le pas vif, la mine enjouée, même s’il a parfois besoin, d’un peu d’aide sur ses dossiers, et d’une bonne ceinture de soutien, car les banquets du sénat, semblent chargés, voire un peu gras ! Après M. Gaudin, voici M. Chapuis, petit monsieur un peu vieux, mais terriblement dynamique : il a fait partie, c’est magique ! de la 1è mission à Crozet (1961), il y a un paquet d’années (50). Depuis il a sillonné le monde, en sa qualité de topographe de l’IGN, on lui a confié de grandes cartes à fabriquer, tout un monde à dessiner ! Arrivent ensuite Eléonore et Adrien, respectivement journaliste et caméraman. Ils ont 37 et 27 ans et vont réaliser pour la chaîne parlementaire un reportage sur les PARTEX (les militaires en participation extérieure qui travaillent pour les TAAF sur les bases). Avec eux, on se marre toute la journée, ils sont très complices et les blagues fusent ! Ils ont eu l’habitude de réaliser des reportages un peu partout : SMLE (sous-marins lanceurs d’engins), guerre en Afghanistan, missions commandos, et j’en passe ! On entretient avec Adrien, une similitude étonnante : même âge, même tête, même gabarit, on adore la montagne et la Bretagne (sa copine vient de Groix), on fait du kite et de la photo et on aime le jus de tomate ! C’est assez marrant…Il me donne plein de contacts pour le secours en montagne et la médicalisation de tournages au bout du monde ! Viennent ensuite Klavdij Sluban et Laurent Tixador, deux artistes de 50 et 30 ans environ, lauréats d’un concours du ministère de la culture. Photographe et plasticien, ils vont passer 2 mois ½ à Kerguelen pour tenter de livrer leurs impressions personnelles de ce drôle de monde parallèle ! Ils nous font partager leur regard décalé, tout neuf et affûté ; avec eux on peut réussir, parfois, à voir un peu différemment cet environnement étonnant ! Les discussions sont souvent passionnantes, car ils sont accessibles et gardent les pieds sur terre, mais pas trop, juste ce qu’il faut. On a aussi avec nous Didier, un météorologiste réunionnais qui va aller ajuster certaines installations à Kerguelen puis très vite retourner sur son île où il pourra enfin courir à nouveau ; c’est un grand marathonien (2h30) qui a besoin de courir 180 km/semaine pour se maintenir à son niveau…incroyable ! Il est aussi arrivé 30è et des poussières sur la diagonale des fous, l’ultra trail le plus relevé au monde (avec l’UTMB) !! Nous trouvons également dans nos rangs Cédric Marteau, le plus jeune directeur d’une réserve naturelle nationale, à 33 ans ! Il est biologiste, très au point sur les questions de préservation environnementale et animale ; il coordonne les efforts de la réserve naturelle des TAAF, et est déjà riche d’une foule d’expériences sur ces îles ! Matilda nous accompagne aussi ; elle a été tout récemment embauchée par les TAAF pour s’occuper du tourisme dans les districts ; elle est prof d’histoire géo et a la bougeotte : à 29 ans, elle a habité à Djibouti, en Polynésie, au Burkina, en France, à la Réunion ! Elle découvre les îles australes pour la première fois et essaie de retenir le maximum d’informations car dans 2 mois ½ il y aura des touristes à bord, curieux et exigeants !
Voici un premier aperçu de mes compagnons de voyage…la liste est encore longue ; je vous en reparlerai.
Nous sommes actuellement au mouillage à une centaine de mètres au large de la base Alfred Faure, refuge des habitants temporaires de l’île de la Possession sur l’archipel des îles Crozet ; nous y avons passé la journée ! C’était très chouette de retrouver les gens que j’ai connus à OP3 et qui viennent de passer leur premier mois au bout du monde : ils ont l’air de s’être très bien acclimatés, et il semble que la situation soit beaucoup plus délicate à gérer pour les 8 personnes qui vont remonter à bord avec nous demain, après avoir passé parfois plus d’un an sur place ! Mon collège médecin, Philippe, a bien voulu prendre ma place à bord dans la journée pour que je puisse me dégourdir les pattes, c’était super !
Demain, c’est la commémoration officielle, avec le préfet, M. Chapuis, le DisCro,… des 50 ans de présence française à Crozet. Ce sera aussi la fin des opérations logistiques et scientifiques et le départ dans l’après-midi pour Kerguelen (2 jours de mer, souvent forte !).
Alors pour bien m’y préparer je vais faire un bon roupillon (plus réparateur que les précédents je pense, la mer était mille fois moins agitée) en me laissant bercer par Erik Satie…paaarfait !
Bises à tous.
Portez-vous bien.
Martin.

Dimanche 1er Janvier : BONUS TRACK


 Et c'est reparti ! L'ordre est immuable, voici le pilote du port qui va aider à faire sortir le Marion des eaux réunionnaises.
 Les paysages à venir emplissent les esprits.
 Et voici l'hôpital de bord et une partie de la commande des districts (au fond à droite).
 Et déjà il faut réinstaller l'appareil de radio !
 Voici une partie des passagers en ce début d'OP4.
 Oh, la frime !
 Adrien (à gauche) et Cédric.
 On espère que le Marion débute cette rotation sont de bons hospices.

 Est-ce qu'on ne trouverait pas une bonne dose de rêves et d'enthousiasme au fond de ces yeux !

Très bonne année 2012 à tous ! Qu’elle puisse vous conduire vers de belles rencontres, vous procurer plus de joies que de peines, vous pousser à continuer d’apprendre, de découvrir ! Dans le même ordre d’idée, il existe une affiche dans notre appart à St Pierre, qui reprend une citation de Ghandi je crois ; celui-ci dit : « vis comme si tu devais mourir demain, cherche à apprendre comme si tu étais éternel ». A méditer peut-être…
Je vous écris ce soir de la cabine 4047, pont D bâbord avant : soit celle du médecin titulaire à bord du Marion-Dufresne ! J’ai pris du grade en trois jours ! En ce moment même, Itunes a la bonne idée de me refaire écouter creep de radiohead (version acoustique) : un vrai bonheur ! Je glisse donc sur l’océan indien, très confortablement installé dans ma cabine douillette, bercé par une houle longue et régulière, les cheveux encore ébouriffés par ma balade nocturne sur le pont ! Il fait doux, l’air est calme, la musique invite à une sorte de relâchement extatique, aiguise les sens, donne envie de ressentir intensément tout son environnement ; écouter l’eau salée glisser sur la coque, aspirer profondément l’air marin et tiède de l’été austral, sentir les courants d’air chaud du large glisser sur ses joues, s’emmêler dans ses cheveux, entendre au loin les discussions tranquilles au bar, quelques éclats de rire des joueurs de baby-foot, observer la mine concentrée des scientifiques lancés dans une discussion pointue, attraper au vol l’air malicieux d’un ouvrier malgache qui vient de faire une bonne farce à son pote, surprendre la femme du préfet perdue dans ses pensées, contempler longuement le plancton phosphorescent s’illuminer dans la vague de poupe, brassé par les puissantes hélices du bateau. 

L’ambiance à bord est très calme et détendue ; l’OPEA actuel est beaucoup plus zen que le précédent, les passagers beaucoup moins nombreux (39 au total je crois), et se tiennent plutôt à carreaux, le préfet des terres australes étant à bord pour cette rotation ; on surnomme d’ailleurs volontiers cette OP comme une mission VIP, car recevant à son bord le préfet et sa femme donc, ainsi que leurs deux employés de maison (!),  le directeur de la réserve naturelle (Cédric), 2 artistes sélectionné par un concours du ministère de la culture pour passer 2 mois ½ à Kerguelen et y apposer l’originalité de leur regard ; il y a aussi à bord une équipe média (Adrien et Eléonore) pour la réalisation d’un documentaire vidéo concernant la vie sur base des militaires en opération extérieure.
La fin d’OP3 s’est déroulée sans anicroche (morbleu ! j’aime les expressions désuètes). J’ai pu profiter de la journée d’escale à Maurice pour retrouver Neetish, puis la nuit de mer passée, nous sommes arrivés à la Réunion sous une chaleur écrasante ! Les passagers se sont alors dispersés : certains rentrant directement en métropole, d’autres prenant quelques vacances à la Réunion. De notre côté, le programme était chargé. Après avoir attendu un peu notre petit camion estampillé TAAF bien sûr, nous avons rejoint St Pierre, chargés à ras bord : d’abord avec Jonas, le microbiologiste finno-belge que nous avons déposé à l’Ermitage où il retrouvait sa copine (le chanceux !) ; ensuite nous avons acheminé tous les bagages de nos collègues médecins au siège de TAAF, ramené les déchets médicaux à l’hôpital où nous avons aussi déposé notre Réflotron (automate de biochimie sèche) pour réparation et notre commande de produits médicaux à usage hospitalier. Ensuite, il a fallu transmettre certains échantillons sanguins au labo en ville pour analyse puis filer au siège où le préfet avait convoqué les médecins des bases et nous pour un débriefing sur l’activité médicale de l’année écoulée. Nous avons ensuite retrouvé JB, Yanis et Anaïs pour profiter ensemble de la fin de la journée dans la maison qu’ils ont louée pour quelques jours de vacances avant d’aller passer la soirée à St Pierre tous ensemble en compagnie de Johann également. Le Jeudi nous a permis ensuite de souffler un bon coup, d’expédier quelques affaires courantes, de compléter mon trousseau pour OP4, de dire au-revoir à Julien (bibcro) et Anaïs (bibams) et ensuite, enfin, de tester le kite-surf à St Pierre ! Mission délicate : la ville possède plusieurs plages qui ont l’air propices mais finalement rien n’est évident : les vacanciers sont nombreux à bronzer, il y a plein d’enfants qui jouent dans l’eau, et  les plages moins fréquentées sont en fait bordées de fonds sous-marins faits de coraux affûtés comme des rasoirs ! J’ai donc pu faire 4 minutes de kite, avant de m’apercevoir que la situation était vraiment trop précaire et les obstacles vraiment trop nombreux ! Nous sommes ensuite partis découvrir les hauteurs de St Pierre en footing ; quel plaisir de se dégourdir les pattes enfin sans bride ! Séance d’étirement dans la piscine de Georges, un copain de Johan, et restaurant de poissons frais pour terminer la journée ! C’est bon aussi d’être à terre ! Le vendredi a été plus studieux (réception de nos différents commandes, passage au bateau pour installer le Réflotron, réparé) ; on passe ensuite une chouette soirée avec JB et Yanis à piqueniquer sur la plage ; je m’échappe alors pour retrouver Agathe, une bonne copine de Lyon, qui est installée à St Pierre depuis 1 an et me fait rencontrer toute sa bande de potes, promesse de soirées très sympas à mon retour d’OP4 ! Mon escale de trois jours n’aurait pas été parfaite si Johann ne m’avait pas aussi proposé une petite rando sur le pouce samedi matin pour aller découvrir un coin escarpé, et sillonné par de puissants torrents de montagne formant par endroits des vasques profondes, à l’aplomb de belles cascades ! On se promène 2 heures ensemble, en escaladant les gros rochers qui bordent le lit du torrent, pour le remonter jusqu’à des piscines naturelles en amont, plus dures d’accès et plus sauvages ! Une très belle randonnée ! Puis c’est le retour vers St Pierre avant de rallier le Marion, un peu dans la précipitation car on apprend en fin de rando que le départ est avancé de 17 h à 14h30 : branlebas de combat pour arriver à temps, faire son sac en 5 minutes, appeler une dernière fois en métropole, sauter dans la voiture de JB et Yanis qui m’emmènent à bord et me confient plein de cadeaux pour leurs copains restés à KER ! Ouf, on arrivera à temps ! Au-revoir rapide et départ du Marion !
Ce chouette interlude à la Réunion m’a permis de bien recharger les batteries, souffler un bon coup, et me redonner envie de partir pour cette nouvelle rotation qui s’annonce plus feutrée, au moins au début !
J’ai donc le droit à un bon rab (21 jours) de navigation, après une mission d’un mois riche de découvertes ! Comme un bonus track, une chanson supplémentaire, à la fin d’un album qu’on a trouvé génial : un petit complément inattendu qui permet de prolonger la sensation, d’allonger la dernière foulée, d’apprécier encore ce qu’on vient de vivre. C’est comme se régaler d’une part de dessert en plus, et s’en délecter en recherchant le goût qu’on vient juste d’aimer ! C’est comme de revenir à la préface initialement sautée d’un livre qu’on a adoré, ou découvrir que cette BD si géniale a une suite insoupçonnée !

Cette rotation va être très intéressante pour moi car j’y prends vraiment les commandes de l’hôpital. Je vais donc pouvoir organiser son fonctionnement comme je le veux du début à la fin ; gérer mon temps à ma façon, me positionner au sein de l’équipage comme je le sens, gérer les commandes, travailler avec les médecins des districts de la manière dont j’ai envie, tant que je remplis les objectifs.
Je vais aussi pouvoir constater comment mes collègues se sont acclimatés depuis un mois, ma position me permettant de conserver un regard extérieur qu’ils ne manqueront pas de me demander.
Nous avons donc quitté le Port hier soir et fêté le nouvel an au large des côtes sud de la Réunion ; un peu comme à Noël, l’ambiance était au rendez-vous, même si on pouvait en douter au départ : le buffet était délicieux comme toujours, et la convivialité bien alimentée par l’enthousiasme des marins, avec le renfort de la cave du bateau, fraîchement réapprovisionnée !
Je vous présenterai la prochaine fois mes nouveaux petits compagnons de bord ! Ils valent le détour ! Par contre j’ai perdu Jean-Louis, qui n’a même pas trouvé de remplaçant…
J’espère que vos réveillons respectifs étaient réussis.
Bises.
Martin. 27°56S 54°21E