« Bpummmmm, Bpummmmm… », la corne de brume
retentit le long des quais du Port Est, emplacement 15. Les mains s’agitent,
les regards se croisent, la coque s’éloigne lentement de l’aplomb de la berge.
Les passagers se pressent sur la coupé tribord pour saluer une dernière fois la
foule de ceux qui restent. Le moment semble suspendu, figé, le Marion Dufresne
se décale au ralenti, au rythme lent des bras qui saluent, des mouchoirs blancs
qui se balancent. Le soleil est écrasant, les couleurs sont vives, éclatantes,
l’air pesant, lourd. On ne sait pas si on aimerait que se moment dure encore ou
s’arrête. Tout en saluent encore pour quelques instants famille et amis, on
récapitule mentalement si on a tout bien pris avec soi, rien oublié derrière…ça
a l’air d’être bon…appareil de radio…réparé ! amené à bord ! OK…
automate de biologie…révisé…à bord ! OK…pharmacie…à bord ! bouquins
de médecine…c’est bon ! dossiers médicaux de tous les
passagers…vérifiés ! commandes des 3 districts…à bord ! nouvelle
dotation de gaz médicaux…en cale ! commande dentaire … réceptionnée !
demandes personnelles des médecins des bases…c’est bon ! Livret
d’instructions du médecin de bord…emmené ! commande de biologie…dans le
frigo ! Documents air liquide de bonnes pratiques…OK ! Bon, ça semble
correct !
Je vais aller pouvoir
sereinement profiter des péripéties du départ : arrivée de la pilotine,
embarquement du pilote, sorite du port, dernier salut du pilote qui nous laisse
à notre sort et remonte sur son bateau. Hélico au loin dans le ciel bleu marine
de la Réunion. Le pilote et le mécano sont toujours les deux dernières
personnes qui embarquent car l’hélico ne peut pas se poser à proximité du port
(trop d’obstacles), ils atterrissent donc quand le bateau est déjà au large.
Arrivée toujours spectaculaire avec le traditionnel salut de l’hélico au
bateau, en plein ciel : l’hélico reste en stationnaire et pivote de haut
en bas et d’avant en arrière comme s’il hochait la tête d’un air résigné
affirmant ainsi que l’aventure peut bel et bien commencer. Puis il opère un
grand cercle autour du navire, à basse altitude, comme pour bien s’assurer que
c’était le bon bâtiment. Enfin, il se pose sur la DZ, sous les regards ébahis
des passagers qui découvrent souvent pour la première fois ce spectacle aérien
en plein océan.
L’hélico vient à peine de se
poser que les marins ont déjà détaché ses pâles et le pousse dans le hangar
pour l’y arrimer. Un instant après, des cris fusent dans l’assistance :
« Des dauphins ! ». Un banc entier de dauphin fonce en effet
vers le bateau, sautant d’une vague à l’autre et dessinant des arabesques
sous-marines entre deux cabrioles. Ils se dirigent vers la proue pour s’amuser
dans la vague d’étrave ! Dix minutes de spectacle et pffuit ! ils
disparaissent dans les profondeurs sombres. On ne les reverra plus pour cette
fois.
Le Marion suit encore pour
quelques instants les côtes réunionnaises puis les laissent à tribord et fait
cap plein Nord en direction de Tromelin. Nous atteindrons ce minuscule morceau
d’île demain matin (vendredi). Chacun gagne alors sa cabine pour s’y installer,
ranger quelques affaires, puis par t explorer le bateau, se perdant dans les
nombreuses coursives. On commence aussi à faire connaissance : la mission
permet essentiellement d’opérer la rotation des personnels militaires des bases
(PARTEX), dont la mission s’étale sur 13 mois d’Août à Septembre. Il y a donc à
bord une 20aine de militaires, issus de toutes les armes : l’armée de
l’air est traditionnellement en charge des réseaux de télécommunication, l’armée
de Terre (« buissons ») des infrastructures, la Marine de la
maintenance des engins mécaniques, bateaux, structures portuaires. La plupart
des militaires découvrent les Taaf pour la première fois et vont aussi
apprendre à collaborer avec des civils, au quotidien, pendant un an. Le Marion
abrite aussi des personnels Taaf à destination des districts : boulanger,
cuisiniers, ouvriers polyvalents, peintres, maçons qui vont assurer la
logistique au quotidien des bases et resteront pour la plupart jusqu’en avril
prochain. Il y a aussi des prestataires extérieurs aux Taaf : Météo France
envoie quelques techniciens à Tromelin et à Kerguelen ; Télespazio case un
ingénieur pour Kerguelen. L’OP permet aussi la relève des chefs de district. Ce
sont eux qui représentent l’administration sur place, qui incarnent l’Etat
français et sont les garants du bon déroulement de la mission, rendent des
comptes régulièrement au siège des Taaf, font respecter la loi française,
organisent harmonieusement la vie sur place, arbitrent les conflits,
supervisent la sécurité, préviennent les accidents…Bref, ce sont les grands
chefs localement. Ils ont des profils assez variés : sur cette rotation on
trouve un gendarme de carrière en poste dans les RI (haut niveau) juste avant de
s’engager aux Taaf (CRO), on a un ingénieur du CNES qui a travaillé à Kourou,
en Australie, en Antarctique (KER) et je ne connais pas encore celui qui ira à
AMS. Ceux qu’ils remplacent étaient militaire haut gradé dans les Forces
Spéciales, cadre chez France Télécom…
Enfin, le bord accueille aussi
le nouveau (avril 2012) préfet des Taaf, Pascal BOLOT, qui va ainsi découvrir
le Marion et les districts dont il est l’administrateur supérieur. C’est donc
une occasion importante pour les cadres des Taaf de lui faire visiter ses
territoires en lui proposant alors un éclairage dirigé vers les problématiques
propres à chaque service (Réserve Naturelle, Services Techniques, Service
Financier… : les 3 directeurs sont donc à bord, respectivement Cédric,
Marion et Didier).
Pour finir, un rapide tour de
l’équipage, commandé par Pascal Auvinet, avec qui j’ai navigué lors de la
dernière OP. Un quinqua originaire du Sud-Ouest, auparavant commandant du
Christophe Colomb , un des plus grand porte conteneur français, et avant encore
il naviguait sur les côtes ouest africaines pour charger son grumier des bois
exotiques précieux. Il a donc bien bourlingué et n’est jamais avare d’anecdotes
savoureuses de ces missions autrement aventureuses. Il est secondé par Estelle
avec qui j’ai partagé toutes mes rotations jusqu’à présent. Le chef mécano
n’est pas Alain cette fois-ci mais Mathieu, jeune lieutenant au visage rond et
jovial, secondé par JB, plus jeune lieutenant encore avec qui j’ai fait
plusieurs OP déjà et qui est un grand fan de montagne ! Je connais mois
bien le reste de l’équipage français pour le moment mais ça va vite changer.
Les marins malgaches et roumains sont là aussi, je les connais pour la plupart.
Ils sont champions de la bonne humeur ! C’est un plaisir de travailler
avec eux.
On trouve aussi à bord une
jeune journaliste de l’AFP, Sophie Lautier, qui vient faire un grand reportage
sur les Taaf et qui est accompagnée de Nelly, chargée de com’ aux Taaf.
La journée de jeudi progresse
pour nous envelopper finalement dans une nuit opaque et humide qui nous invite
à regagner le château pour y dîner. Premier repas à bord et premiers maux de
mer pour les plus sensibles que je retrouvent, un peu plus tard, au seuil de
l’hôpital, tout verts ! Distribution générale d’antinaupathiques et
conseils de circonstances. La soirée est calme, et la majorité des passagers
regagne sa cabine sans trop tarder. La fatigue des derniers préparatifs est
costaude et les couettes très confortables : bim ! me voilà parti
pour 10 heures de sommeil…trop bon !
Premier réveil à bord, lumière
vive d’un ciel sans nuage, encore amplifiée par la réverbération de la mer, et
la rectitude des rayons, car nous nous rapprochons de l’équateur. Ça
cogne ! On prend le soleil sur le pont, tentant d’apercevoir en premier la
minuscule silhouette de Tromelin ! A 10 heures, ça y est ! On la
voit. Minuscule terre plate et sablonneuse qui émerge tout juste des eaux
turquoises de l’océan Indien. Plage frangée de cocotiers, quelques bicoques de
guingois et une piste d’atterrissage ! Voilà tout…3 personnes s’y relaient
par période de deux mois (maintenance d(installations météo et souveraineté
française car le territoire est revendiquée périodiquement par les mauriciens).
Alors qu’on se perd en rêveries à la Robinson Crusoé en voyant cette île, mon
voisin s’excite et crie « Baleines à bâbord ! ». Pas faux…2
ombres sombres et massives évoluent sous l’eau à une 10aine de mètres tout au
plus de la coque. Ces deux baleines font surface un instant pour respirer puis
disparaissent pour quelques minutes. On les reverra ensuite deux fois autour du
bateau, alors que nous mouillons à 100 mètres à peine de Tromelin. Cette OP
commence sacrément bien pardi ! Une après-midi à contempler ce petit coin
de paradis (et à acheminer du matériel et de vivres) et pffffuitt !
Direction Crozet que nous devrions atteindre le 30 au petit jour.
Allez je file ! Voici une
consultation…
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