mercredi 25 avril 2012

OP1 EP5 : A la cape !



 Cabane de manip à Kerguelen
 Configuration naturelle des rochers, région de Laboureur, Kerguelen
 Quand je vous dis que ça souffle...
 Départ de Kerguelen
 En passerelle, le soir

 Glacier (calotte Cook), Kerguelen
 Glacier (Ampère), Kerguelen
 Cabane à Ratmanoff, Kerguelen


Vendredi soir, 22h05, dans l’intimité de la cabine de pilotage (timonerie ou passerelle), la nuit nous enveloppe. Il fait froid et les étoiles semblent faiblardes. Leur lueur timide franchit difficilement les nuages épais et rapides qui recouvrent sans cesse le ciel de Port-aux-Français. Nous sommes au mouillage à une centaine de mètres de la base de Kerguelen et l’officier de quart à la timonerie, Flavien, est concentré pour maintenir la position du bateau. En effet, l’approvisionnement en gasoil n’est toujours pas bouclé. Les marins s’activent depuis 6 h ce matin pour terminer dans les temps les opérations logistiques. L’hélicoptère a volé plus de sept heures ce jour et Pascal, le pilote, accuse le coup. Les hommes du pont ont gruté depuis le petit matin pour charger le chaland d’immenses containers de ravitaillement. Les Bosco en zodiac ont dévidé plusieurs centaines de mètres de manche à gasoil pour ravitailler la base qui sert aussi de station-service aux bateaux de pêche. Le soleil s’est depuis longtemps retiré de la partie ce soir, mais les marins font du rab’ ! Car il faut avoir fini demain et ainsi appareiller dans les temps pour Amsterdam. Mais pour le moment, concentration sur la fin de la manœuvre de livraison de gasoil. Déjà 500 m3 ont été transférés…encore une trentaine et tout le monde pourra aller se coucher, enfin ! Je suis chargé de diriger un énorme projecteur, depuis la timonerie, pour suivre les petites bouées orange qui matérialisent la manche à pétrole qu’on est en train de ramener sur la table arrière du bateau. Pour cela un gros enrouleur tourne lentement sous le contrôle attentif des marins. Il a fallu auparavant assurer une purge parfaite de cette conduite souple pour ensuite pouvoir la déconnecter de la cuve à terre. On envoie donc de grandes quantités d’air depuis le bateau puis on attend le signal de purge complète. Une fuite de gasoil dans la baie du Morbihan ne serait en effet pas de très bon goût en plein cœur de cette nature sauvage et préservée. Flavien m’explique chaque étape de cette périlleuse opération. Encore 30 minutes et la manche a regagné le bord. Grésillements de talkie-walkie…Le 2nd capitaine remercie les gens à terre pour leur coopération et félicite tout le monde du bon déroulement de cette livraison. Les projecteurs s’éteignent un à un…Fin du spectacle. Les héros du soir rentrent discrètement dans leurs cabines, le visage marqué, les combinaisons luisantes d’essence et les yeux déjà embués. Pas beaucoup de spectateur pour saluer la représentation pourtant fort bien menée. Juste l’éclat froid de la lune et le clapot des vagues en guise de remerciement. Métier ingrat. Les hivernants, quant à eux, doivent faire la fête au même moment, insouciants. Les marins viennent pourtant de leur assurer un hiver au chaud.

Quant à moi, le petit cours du soir par Flavien continue : fonctionnement des 3 moteurs, paramètres du pilote automatique, gestion du DPS qui permet de contrôler la position du bateau en particulier pour assurer un sur-place parfait, même en cas de vent fort, irrégulier ou de houle puissante. Deux arbres indépendants font tourner deux hélices, suivies de deux safrans pilotés aussi par ordinateur. Le pas de chaque hélice s’ajuste en permanence, en marche avant ou marche arrière, de manière très souple grâce à l’ingénieux moteur hybride (thermique et électrique). Un propulseur avant complète l’appareil directionnel : une hélice insérée au milieu de la largeur de la coque avant permet de chasser l’eau vers tribord ou bâbord et fait ainsi pivoter plus rapidement le navire. Après ces explications précises, Flavien décide de reprendre quelques instants le pilotage manuel…alors je tente ma chance…et lui demande si je peux essayer de manœuvrer l’engin… et me voici à la barre du Marion-Dufresne ! Un propulseur dans chaque main, j’essaie d’ajuster la puissance des deux hélices d’arrière pour faire tourner le bateau sur lui-même. Je sens alors cette grande structure pivoter tout doucement, docilement. C’est magique ! Nous faisons maintenant un peu trop de travers à la houle alors direction le poste d’équilibrage : un écran où sont schématisés les différents circuits entre tous les ballasts d’eau, ainsi que le niveau de toutes les cuves de gasoil : en quelques clics on peut alors déplacer très rapidement plusieurs tonnes d’eau d’un bord à l’autre, permettant ainsi d’équilibrer l’assiette. Hop ! Dix tonnes passent à bâbord et annulent alors la gîte.  Incroyable !
L’ambiance de la passerelle le soir est très agréable. Les lumières, rouges, sont tamisées. Il n’y a aucun bruit car on est assez loin des moteurs. La surface vitrée est immense et nous permet de voir presque tout autour du bateau. Il y a même une zone du plancher avec des dalles en verre pour bien voir à la verticale du bord de la coque (pratique pour les manœuvres au port). Toutes les VHF convergent vers la timonerie permettant de tout savoir, en direct, des activités dans les différentes zones du bateau ou même à terre. De même, toutes les infos relatives aux vents, à la météo, à la navigation (position, cap, prévisions de route…) s’affichent en permanence sur autant de petits écrans aux chiffres rouges, eux aussi. Pendant l’escale à Kerguelen, on trouve aussi, dans un coin, une petite liste intitulée « aurores ». C’est là qu’il faut s’inscrire si on veut être réveillé par le marin de quart en cas d’aurore australe ! L’officier de quart branche souvent sa musique, en arrière-fond, renforçant encore l’atmosphère apaisante de ce lieu. Après 21 heures, il n’y a presque jamais d’autre personne que le timonier. On a souvent des discussions beaucoup plus personnelles alors, dans l’intimité de ce lieu paisible. 

Encore quelques heures à Kerguelen, le temps d’embarquer les campagnards d’été qui ont fini leur mission (le bord est maintenant bien rempli), et on lève l’ancre pour St Paul et Amsterdam. La rumeur circule rapidement que les conditions de mer vont être très musclées. Les nouveaux venus n’en mènent pas large. Ils accusent déjà le coup, car les fêtes de départ sont souvent très réussies : il leur faut donc gérer le manque de sommeil, la gueule de bois, le cafard de voir leur île et leurs copains s’éloigner dans le sillage et en plus un vent et une houle menaçants. Après une heure de navigation tranquille dans la baie du Morbihan, on remonte la côte Est qui nous protège de la houle du large. Mais ensuite, la mer reprend ses droits : vent à 50 nœuds, creux de 6 mètres…le bateau semble sauter d’une vague à l’autre. Les conditions vont encore s’empirer dans la nuit. Dans un demi-sommeil, j’entends un sacré vacarme venant du bout de ma coursive. C’est là que se trouve la cuisine : le bruit ressemble à des morceaux de verre, qui traversent le sol carrelé au rythme de la houle de gauche à droite ! Un peu après, c’est un bruit sourd qui me réveille franchement cette fois-ci ! Venant de l’hôpital…La très lourde valise métallique qui contient mon canon à rayons X a glissé à travers la salle d’examen, malgré ses 50 kilos ! Elle a fini sa course contre la cloison du fond, sans rien endommager ! Je l’arrime avec une grosse corde et tente de me recoucher…quand « Badaboum ! » Ah, je crois que c’est tout près maintenant. Ce bruit est celui du bloc de tiroirs, pleins de dossiers médicaux, qui a été éjecté du bureau, sortant de ses rails ! Incroyable !
Le spectacle ce dimanche matin, pour ceux qui sont sortis de leurs lits est incroyable : agrippés aux barres, en passerelle, on voit des vagues de 10 mètres déferler et passer par-dessus le pont avant, atteignant même le château parfois. Le bateau gigote sur cette mer démontée comme un petit bouchon de liège. Le commandant décide rapidement de se mettre à la cape : c’est à dire, le nez du bateau au vent, et les moteurs au ralenti. On ne fait alors plus que du surplace, bien dans l’axe de la houle, pour pouvoir épauler au mieux les grosses vagues. On restera dans cette position toute la journée…Certains passagers ne quittent plus leur cabine. Je fais donc mes petites consultations en mode visite à domicile, armé du plan de cabinage du bateau.

La suite des opérations change donc un peu et il est prévu de sauter l’étape St Paul.
Les prévisions météo semblent néanmoins favorables (ou bien le commandant est un malin et soigne le moral des troupes !) et on doit reprendre une marche normale ce soir. Malgré tout, en ce moment même  (18h25), les vagues continuent de venir lécher mes hublots, faisant de très beaux effets bleutés dans toute la cabine, située pourtant au pont D (il y a 3 niveaux encore sous mes pieds).

« Toc, toc, toc ! » fait ma porte. Je dois vous laisser. Il faut que j’aille coller des patchs (anti-nauséeux) derrière les oreilles de mes camarades !

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