jeudi 29 décembre 2011

BALEINES A TRIBORD ! mardi 6 décembre

 Océan partout ! notez la belle rotondité de la Terre
 Des robinets et vannes à perte de vue !
 Un marin, un vrai !

Une journée type sur le Marion Dufresne : Elle commence très tôt car à minuit, nous étions en pleine roumbada/lambada au pont E, sur la piste de danse en bordure du « forum », mot très délicat pour désigner le méga bar « duty free » ouvert quasi toute la journée (un employé de l’armateur du navire est à ce poste à temps plein). Donc nous voici en train d’installer tous les spots dispos sur le bateau pour créer une super ambiance boite de nuit ! Le navire débordent de jeunes, et ni une ni deux, quelques disques durs externes se retrouvent branchés sur l’ordi du bar : chacun se fait écouter ses petites zic préférées, les officiers descendent de la timonerie pour participer, la fille du commandant est aussi de la partie, Lassen se déhanche, Johan donne… ça envoie! Un peu après ça, direction les ponts inférieurs où l’équipage roumain a invité tout le monde à célébrer leur fête nationale : chouette ambiance, hyper conviviale, à grand renfort de whisky, à dose marine marchande : autant dire qu’il faut au moins un foie breton pour endurer tout ça…d’ailleurs la plupart des marins français sont bretons : sélection naturelle dirait ce bon vieux Darwin… Passée l’épreuve du feu sacré des roumains, on va se frotter aux rudes malgaches, moins baraqués que les colosses d’Europe de l’est, mais tout aussi vaillants devant leurs verres…Ensuite, redirection le « forum » toujours bien rempli…Les plus résistants ne regagneront leur cabine qu’à 4 h du matin ; certains des marins prennent d’ailleurs leur quart à 5h30 ; pffff… ! Trop balaises !  Lever à 7h30, l’œil vif, l’haleine fraîche, le pas décidé ; la mine radieuse après une saine nuit ! Toilette de chat, on saute dans son costume de travail (dress code sur le bateau en tant que membre de l’équipage : chemise, petit pantalon sombre, chaussures fermées et sourire professionnel, et oui on véhicule en permanence l’image des TAAF, c’est presque écrit sur notre front ; de plus le « Doc » se doit d’avoir l’air toujours en forme, frais et dispo 7/24) ; Il a forcément bien dormi, n’a jamais été gêné par la musique à fond des collègues roumains (ambiance chant traditionnel très aigu boosté à l’électro genre rave party version Bucarest, sursaturé en basses).  8h00 Petit –déjeuner solide en prévention d’un très probable mal de mer approchant, la houle s’étant renforcée dans la nuit : buffet type club Med avec grille-pain tapis roulant, jus de mangue, yaourt à la mangue et confiture… à la tomate (ça pue, la vache !).  8h30 Petit tour sur le pont pour jauger un peu des différences apparues dans la nuit : chute de température, changement de luminosité, petit vent glacial, soleil éclatant (type « glorious day » anglo-saxon), allongement de la houle, nouveaux oiseaux qui patrouillent autour du bateau (petit briefing par votre collègue ornitho qui, de toutes façons, est TOUJOURS sur le pont, les jumelles à la main, capable de voir à 180° sans doute en dissociant ses deux yeux, et susceptible de reconnaître le piaf dans la seconde ; vous bénéficiez alors d’un commentaire hyper détaillé sur sa vie son œuvre, à l’oiseau hein ! et vous commencez déjà à chercher l’astuce qui vous permettra de vous extirper de cette discussion partie pour durer). Il est rapidement l’heure d’assurer la permanence médicale de l’hôpital de bord, et de toute façon vous vous gelez un peu les miches, et en plus Jean-Louis plumes dans les cheveux cause encore… 9h00 : frais et revigoré par cette balade, vous ouvrez l’hôpital de bord pour 2 h de permanence ; le sourire éclatant, la mine enjouée, vous faîtes hôtesse d’accueil, médecin, pharmacien et rendez de menus services à quelques collègues : un scientifique cherche à stériliser ces flacons de verre pour des prélèvements d’eau de sources chaudes à Kerguelen : hop, vous branchez votre super autoclave ; puis tchac, vous retrouvez J-Louis plumes dans les cheveux car forcément il a un méga coup de soleil sur le pif…bien joué JL ! Puis clac, c’est Dédé le mécano qui s’est abîmé le poignet en forçant comme une marmule et qui veut ABSOLUMENT un strapping même si vous lui proposez plutôt une attelle …ben vous lui faîtes son strapping et il est hyper content et vous invite à la soirée des ponts inférieurs…On commence à saisir une certaine logique dans l’organisation de la journée, nan… ? Entre deux consultations, on finit les inventaires des touques, nom étrange pour désigner les bidons en plastiques qui vont être envoyés dans les refuges éparpillés aux Kerguelen : travail de magasinier un peu laborieux voire carrément gerbant quand on le fait dans une petite pièce borgne, d’1 m 80 de haut, au pont D, avec une méga houle : prévoir un sac en papier pour l’inventaire (enfin pour vous). 11h00 Briefing sur les opérations portuaires du ravitaillement de « CRO » (pour iles crozet), avec le futur DISCRO (chef de district des iles crozet), le BIBCRO (le toubib), les OPEX (militaires en opérations extérieures), l’OPEA (officier portuaire des expéditions australes), le BOSCO (chef garages, hangars, machines), le STIR des TAAF (responsable service télécom informatique réseaux des terres australes et antarctiques françaises), le GENERCRO (intendant général) : il faut caler toutes les rotations hélico pour acheminer des vivres pour plusieurs mois, du fioul, du gasoil, des infrastructures pour les réparations en tout genre voir pour construire des nouveaux bâtiments , des installations scientifiques (appareil GALILEO pour installer les éléments du futur système européen concurrençant le GPS américain, marégraphes, analyseurs des gaz atmosphériques…) et surtout pas loin de 120 personnes dont une 20 aine de nouveaux hivernants, en ramener quasi autant vers le bateau, et tout ça avec un seul hélico !!  Le planning des rotations hélico est juste incroyable !! 11H00 c’est aussi l’heure de l’annonce générale « tin tin tin votre attention s’il vous plaît, déjeuner premier service » 12h00 idem 2è service : les places changent chaque jour : hier, on discute avec un suisse qui part trois mois à Kerguelen réaliser une palanquée de prises de sang aux manchots pour étudier le métabolisme particulier adapté aux plongées profondes en hypothermie ; aujourd’hui, on côtoie un des responsables de la logistique à l’IPEV qui a déjà fait une tripotée d’hivernages et est une sorte de mémoire vivante des expéditions australes françaises : moult anecdotes croustillantes au menu ; l’autre menu se déroule d’ailleurs ainsi : 3 plats, fromage, dessert ; apéro, vin, digestif : et ça sera le même tarif au dîner : personne ne prend moins de deux kg sur une rotation !! 13h00 sieste (et ouais !! incroyable nan ?) 13h30 petite promenade sur le pont 14h00 séance de philatélie ; avant chaque arrivée sur un district (CRO demain matin), grande séance au PC sciences, où tout le petit gratin du bateau est réuni pour apposer les fameux tampons sur les enveloppes qui vont être postées à bord ou sur base pour ensuite repartir avec le bateau (qui fait donc office de poste flottante) : tchac tchac tchac, les coups de tampon s’enchaînent à toute vitesse, sous les regards intrigués des touristes à bord ; 1 h d’huile de coude pour tamponner trois sacs de cartes postales !! Ça tue. 15h00 séance de formation aux premiers secours pour les futurs hivernants de KER et AMS (Kerguelen et Amsterdam) 16h30 lessive … grâce à Romain et ses langoustes je n’ai embarqué que 4 ou 5 caleçons et autant de chaussettes : les lessives s’enchaînent donc pas mal 17h00 c’est reparti pour une heure de permanence médicale : on continue donc de soigner les petits bobos des uns et des autres : une plaie à panser, une douleur à soulager, un transit à ralentir (…), plein de petits trucs qui permettent aussi de continuer à faire connaissance. 18h00 changement de tenue : c’est la séance de sport  vélo, haltères, espalier,  nous voici frétillants,  au moins pour un temps,  avant le dîner 18h00 voix synthétique… tin tin tin dîner premier service (quand je vous parlais de maison de retraite) 19h00 ne pas oublier d’arrêter de pédaler pour aller vite sous la douche car c’est l’heure du 2è service, et il faudrait pas schlinguer trop, car le dress code petite chemise blanche en prendrait un coup 19h15 entre l’entrée et le plat…annonce sympathique sur les hauts parleurs de tout le bateau « baleines à tribord !! » woahouuayahoahao on fonce, et en effet, quel spectacle : des gros dos apparaissent à 20 mètres du bateau : tout un banc de cachalots, rapidement suivi par des baleines à bosses !! Et le plus fou c’est que la plupart des passagers trouvent ça normal : la grande majorité des hivernants ont en effet déjà hiverné et ré hiverneront ensuite : l’IPEV et les TAAF sont vraiment un petit monde ! Chacun regagne tranquillement sa place : « -dites donc, mon cher, cette année les baleines sont vues tôt, n’est-ce pas ? – Je crains de vous contredire, mais l’année dernière, nous les avions vues sous ces mêmes latitudes … - Avez-vous remarqué la grande proximité de ces deux bancs, pourtant d’espèces différentes ? -… » Discours quasi banal sur le Marion… Incroyable ! 20h15 on se montre les plus belles photos du jour au forum, réalisées à grand renfort de télé objectifs (certains à plus de 10 000 € !) et vraiment magnifiques ! 20h30 Projection du film du jour dans le cinéma de bord (pont F) 21h00 oups, ma lessive ! 21h15 flûte, les flacons dans l’autoclave ! 21h30 journal de bord puis visite à la bibliothèque du bateau pour compulser un ouvrage passionnant sur les sternes polaires à col gris histoire d’assurer demain matin à 9h00 avec JL !  La suite : à vivre ! Tout n’est pas écrit j’espère… Et pour terminer sur une note un peu plus fine et vous proposer un moment de réflexion, quelques vers de Baudelaire, entendus ce matin par hasard sur un des nombreux podcasts de France Inter que j’ai emmenés (en l’occurrence, sur les épaules de Darwin de Jean Claude Ameisen, daté du 12 novembre)  Homme libre, toujours tu chériras la mer. La mer est ton miroir Tu contemples ton âme Dans le déroulement infini de sa lame. Tu te plais à plonger au sein de ton image, Tu l’embrasses des yeux et des bras, Et ton cœur se distrait quelques fois de sa propre rumeur, Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage. Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets. Homme nul n’a sondé le fond de tes abîmes, Oh, mer ! Nul ne connaît tes richesses intimes, Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets. Bien à vous. Bises au milieu des baleines, Martin, toujours plus au Sud !

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