vendredi 30 décembre 2011

UN DELUGE DE LANGOUSTES jeudi 22 décembre


 Ile saint paul
 bois de phyllica à amsterdam
 sur la base d'amsterdam







Reprenons le fil ; nous l’avions laissé aux abords de Kerguelen, au large de sa côte Est, hostile et découpée, mais qu’on laissait s’éloigner doucement dans un flot de lumière douce, tamisée par quelques nuages laiteux. Le décor était alors particulièrement saisissant : nous quittions alors Kerguelen dans cette lumière éclatante, très vive, qui découpait des silhouettes précises parmi les rochers et falaises de la côte, ciselant un décor éclatant, dans un air vif et sec, presque un peu acidulé par la vie végétale fournie des dernières îles qu’on laissait dans notre sillage. Nous voilà donc en route pour 2 jours de navigation réputée comme agitée parfois. Il n’en sera rien, la mer restera parfaitement lisse, seulement animée parfois d’une petite houle qui berce. On file donc sans encombre jusqu’aux abords de l’île St Paul, classée réserve naturelle intégrale depuis 4 ou 5 ans, et interdite donc à tout débarquement. Seuls quelques scientifiques ont obtenu une autorisation pour y faire des prélèvements sous-marins pendant 3 jours, correspondant à l’escale à Amsterdam. Nous les y déposons donc lundi au petit matin, et découvrons  cette île au relief incroyable ; il s’agit d’un minuscule volcan qui a émergé des eaux il y a quelques centaines de milliers d’années. Son cratère central s’est affaissé au cours d’une éruption qui a soufflé tout le versant est, et qui offre ainsi une passe dans sa muraille, ainsi qu’une zone centrale maintenant immergée. Ce profil particulier alimente l’imaginaire de tous les passagers, car on croirait y voir l’île mystérieuse de Tintin ou bien quelque atoll oublié en plein océan qui abriterait des animaux mystérieux et anciens, échappés du crétacé ou du jurassique ! C’est d’ailleurs presque le cas, puisque l’île est un refuge pour certaines espèces d’oiseaux endémiques qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Elle est à ce titre un terrain d’exploration exceptionnel pour les chercheurs. Ils sont donc très excités à l’approche des côtes, impatients de débarquer enfin. Au-delà du décor naturel très particulier et source de fantasmes, l’île a aussi été le siège d’histoires assez effrayantes. Au début du XXe siècle, une entreprise de conserves, française, et aussi diriger par les frères Bossières (cf. un des épisodes précédents), décide d’y implanter une pêcherie de langoustes, ces dernières étant particulièrement abondantes dans ces eaux ; ils y ajoutent une usine de conditionnement et commencent à utiliser ces installations durant l’été austral. L’inconvénient principal de cette utilisation saisonnière est l’important travail de remise en fonctionnement à chaque début de campagne ; aussi, ils décident d’y laisser quelques employés chaque hiver pour réparer au fil de l’eau les dégâts éventuels ; malheureusement pour eux, la crise industrielle est passée par là, maintenant à sec les caisses de la langousterie qui préfère alors économiser un A/R en bateau et ne va donc pas récupérer les pauvres ouvriers. Ils attendront 4 ans je crois le passage d’un bateau, 4 ans au cours desquels la plupart d’entre eux mourront, y compris un nourrisson ayant vu le jour pendant cette période. Il existe encore d’autres histoires du même genre, contribuant au mythe d’une île maudite, où l’appétit financier des hommes vint s’échouer.
Nous y laissons donc la petite équipe, qui va y jouer les Robinson Crusoé ; le confort est certes rustique (cabane en bois sur place), par contre leur stock de vivres est des plus luxueux : au menu durant ces trois jours pour eux : magrets de canard, vins rouge grand cru, foie gras, coquilles saint jacques… c’est presque indécent quand on se rappelle que les ouvriers de la langousterie qu’on appelle « Les oubliés de St Paul » sont presque tous morts de faim !
Le Marion continue sa route vers Amsterdam et 4 heures plus tard, nous découvrons ce bout de caillou, lui aussi volcanique, dépasser de notre horizon. C’est la plus petite des îles subantarctiques françaises habitées, elle doit faire 50 km2 . Cette île est un grand plateau incliné à 15° environ, culminant sur sa face ouest à 800 m et des brouettes, ceinturée de falaises en très grande partie. C’est le royaume des otaries, qui occupent toutes les zones littorales pas trop escarpées. Elles sont des milliers ! C’est actuellement la période de reproduction qui suit de près celle des naissances ; aussi, il y a beaucoup d’activité sur ces plages en pierres volcaniques noires : les mâles célibataires paradent devant les femelles, les bébés, qu’on surnomment les « poups » s’astiquotent entre eux, le tout dans un brouhaha de cris étranges allant de l’aboiement au gémissement, de l’éternuement au miaulement, comme si ces animaux n’arrivaient pas à se décider pour un cri leur appartenant !
Je n’aurais pas le plaisir de découvrir tout de suite ce morceau de volcan, étant d’astreinte médicale sur le bateau le premier soir et la première nuit…Mais dès le lendemain (nous en sommes au mardi), me voilà dans l’hélico puis hop je me dégourdis les pattes sur la terre ferme de la « nouvelle Amsterdam ». C’est la journée rando d’OP3 ! On va crapahuter du matin au soir, pour découvrir au mieux cette île. On commence par une promenade vers le bois de Phylica. Ces arbres sont les seuls des terres australes et la rencontre est d’autant plus émouvante : on voit d’ailleurs les Kerguéléniens, privés d’arbres pendant plus d’un an pour certains, venir toucher le bois avec émotion, et profiter de la sieste pour s’en faire un hamac improvisé : ils ont l’air tellement heureux de retrouver des arbres que c’en est troublant, et pourtant j’ai l’impression de pouvoir les comprendre ! On continue ensuite notre rando, après un délicieux buffet d’accueil à midi (je n’ai jamais vu autant de langoustes de ma vie dans la même pièce ! et je ne parle pas des hivernants plein de coups de soleil) . Direction la station de chimie atmosphérique : en effet, Amsterdam est une des îles du monde les plus éloignées de tout continent ; à ce titre, les analyses d’air atmosphérique sont très précieuses, exemptes de toute variation ponctuelle liée à l’activité immédiate des hommes : elles reflètent alors plus précisément des grandes tendances et sont donc très utiles pour l’analyse du réchauffement climatique entre autres ! On y mesure donc les concentrations en CO, CO2, DMS (diméthtylsulfure). Ce dernier est liée au métabolisme du phytoplancton et contrebalance l’effet de serre du CO2 ; son activité augmente avec la température, ce qui fait dire à certains scientifiques qu’on pourrait finalement atteindre un point d’équilibre où l’effet de serre serait compensé, grâce à l’activité du phytoplancton, augmentée par le réchauffement lui-même…intéressant. Ensuite, on continue notre balade par un passage autour des cratères d’Antonelli ; cette île, considérée comme un volcan actif, est parsemée de cratères ; la dernière éruption a d’ailleurs eu lieu il y a moins de 100 ans, et la base actuelle s’est même construite sur la principale coulée de lave en résultant ; on la devine encore quand on aborde l’île, de loin, car elle ne s’est pas totalement végétalisée. Elle forme donc une grande langue, surélevée et assez plane, sur laquelle se sont édifiées les premières bâtisses. Nous voilà donc au refuge Antonelli, qui domine superbement un petit cratère, bien régulier, qui émerge en plein milieu de l’île. On rentre ensuite prestement à la base, car Anaïs, le médecin sortant, veut me montrer la MAE (mare aux éléphants), la plage juste devant la base, qui abrite une grande colonie d’otarie. Je découvre ensuite les installations existantes, procurant aux hivernants un confort certain : terrain de tennis, bibliothèque, salle de gym et musculation, salle de musique, pièce de vie commune avec babyfoot et billard, le tout construit en dur, à la différence des autres bases, où l’essentiel est préfabriqué. Je visite ensuite l’hôpital de la base : spacieux et très bien agencé, Joëlle semble y trouver ses marques facilement. Pas le temps de rêvasser car la rando à repris : direction le refuge Ribaut pour y passer la nuit avec une partie des passagers touristes, Luc, JB (BibKer sortant), et Jako un biologiste de la réserve naturelle. Ce refuge, très confortable, surplombe une autre colonie d’otaries, que nous aurons tout le loisir d’observer pendant la soirée. Il faut traverser encore un autre tas d’otaries pour accéder au refuge. Pour cela, on doit s’armer d’un bâton car les otaries sont assez féroces, ou démonstratives au moins, et dès qu’on les approche, elles se dressent, grognent, nous font face, et attendent le dernier moment pour se déporter. On se fait quelques frayeurs ! Petit dîner frugal, puis quelques blagues bien envoyées de Pierre, un des touristes les plus marrants ; il doit avoir 70 ans bien sonnés et vient de Marseille : il a un accent terrible et une escarcelle de blagounettes très sympas. On se poile un bon coup, on se montre nos plus belles photos des derniers jours, puis au dodo, le grand air ça fatigue ! A dix heures tout le monde roupille, ou presque…car se trouve parmi nous Paul, le plus grand ronfleur de tous les temps, capable de faire bouger une cloison rien qu’avec ses ronchi : balaise !
La suite de ce joyeux périple est assez prévisible : voyons là du point de vue de l’OPEA (le grand chef de la logistique de l’OP : officier portuaire des explorations australes) : 7 :00 touristes retour base ; 9 :00 hélico : base>Marion ; 13 :00 transit AMS>SP ; 17 :00 plongeurs retour Marion (zodiacx2 et 4 A/R) casiers langoustes à remonter ; 19 :00 transit SP>AMS puis hippo SP ; 10 :30 hélico MD>base ; 12 :00 buffet AMS
Hop, là j’interviens, arrivée de l’OPEA à l’hôpital de bord ce matin à 9 :15 (on était en train de tester un nouvel appareil de biologie) : bon, humm, Martin, bon enfin voilà quoi, c’est sur toi que ça tombe, tu dois faire l’astreinte médicale à bord pendant le grand barbecue de fin de mission à AMS…enfin, tu comprends, voilà, pas le choix…difficile pour moi, c’est sûr… pas d’alternative…une autre fois…y’aura du tartare à bord…c’est toujours compliqué…
Enfin voilà, me voici cloué à bord…nous serons 3 dans la salle du restaurant à midi, et en plus le maître d’hôtel m’avait oublié dans le décompte donc j’aurai un vieux steak tartare à moitié congelé et en plus des réprimandes du maître d’hôtel…sniff ; heureusement, mes commensaux étaient très sympa et le déjeuner fut chouette ! 
J’étais un peu véreux car hier soir déjà, au moment de récupérer les plongeurs à St Paul, des tous en hélico furent organisés pour survoler l’île et il fallait aussi un médecin d’ »astreinte »…devinez qui ce fut-ce ? héhé,  ce fut bibi ! Enfin, je me dis que j’aurai encore pas mal d’occasion de faire tous ces petits trucs agréables…
Retour des hivernants à bord après le repas de fin d’OP à AMS : la déchirure du départ semble profonde ; les 3 ou 4 hivernants qui montent à bord sanglotent sur le pont supérieur, en voyant leurs collègues massés sur la DZ pour un dernier au-revoir : l’émotion est palpable et dit beaucoup de la belle aventure que chacun a vécu lors de cette mission !
Le Marion, imperturbable métronome, reprend sa route…vers Maurice, dernière escale avant la Réunion, permettant de faire le plein de gasoil. Comptez 4 jours de mer environ. La houle forcit, certains sont déjà malades, les verres à pieds ont aussitôt disparu au dîner…
On s’apprête donc à faire Noël en plein Océan Indien… et en maillot de bain, car les température remontent très vite, il faisant 18° aujourd’hui malgré plus de 30 nœuds de vent !
C’est difficile de s’imaginer la métropole en hiver, les décorations de noël dans les rues, la frénésie des cadeaux, des traîneaux, des grands-parents, des petits-enfants, des sapins, des lutins, des boules, des moules (qui mange des moules à Noël ?), du saumon, des marrons. Ici pas d’odeur de sève, pas de paillettes de fausse neige, pas de sorties emmitouflés, pas de cérémonie à organiser…On est hors du temps, hors des contraintes, hors des rituels, loin des familles, loin de l’hiver ; seuls les mails nous rappellent qu’on fait partie du même monde ;  c’est assez étonnant, et le plus bizarre c’est qu’on l’oublie très vite et que ça n’a pas l’air de gêner grand monde ; comme si on pouvait s’habituer assez rapidement finalement à un environnement qui a radicalement changé, à un nouvel ordre établi, à une nouvelle microsociété de laquelle on fait partie, comme touriste/équipage/scientifique/bib/…
Ici il est 22h15 et le roulis ça fatigue, ce soir je ne fais pas la jigue.
Je disparais plutôt dans mon lit, me cache dans mon drap et ses plis,
Et vais tenter de m’endormir prestement, pour doubler mon voisin et ses terribles ronflements !
La bise ! Portez-vous bien.
Martin, 37°S 77°E.

1 commentaire:

  1. Bonjour,je viens de lire votre passage sur la tragédie des "oubliés de l'île Saint-Paul".En effet ces six hommes et cette femme enceinte ont attendu le bateau ravitailleur qui leur avait été promis dans les deux mois suivant le départ de l'Austral...Ils l'ont attendu 9 mois...Des sept gardiens seuls trois survécurent...Louis Herlédan,Louise Brunou,et Julien Le Huludut(mon grand-oncle).Maryvonne(sa fille)et moi avons ouvert un groupe sur Facebook,où nous reprenons leur histoire..Pour ne pas les oublier une deuxième fois...Si le cœur vous en dit n'hésitez pas à nous rejoindre..Merci..
    Dominique
    https://www.facebook.com/groups/363699360410692/

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