jeudi 29 décembre 2011

ET LES CASCADES COULERONT VERS LE CIEL vendredi 9 décembre









En France, la vie continue : la fête des Lumières a commencé à Lyon, les politiciens pérorent, les médecins médicalisent, les bouchers bouchent, les plombiers débouchent, et les équipes de foot marquent enfin des buts (1-7 paraît-il…).
Sur notre paquebot-labo-cargo, on largue : des ancres rouillées, des habitudes figées, des naufragés volontaires (Philippe, le médecin de Crozet a quitté ce jour la vie normale pour Crozet), des idées grossières, … et on rapatrie : des hivernants transis, des souvenirs tout neufs, des amitiés naissantes,  des blagues de marin , des réflexions profondes, comme autant d’invitations à méditer .
Et on continue notre route…
L’escale aura été incroyable : un ballet aérien ( depuis notre gros hélico pressé, jusqu’aux jeunes skuas qui prennent leur premier envol)
un ballet aquatique : des baleines à bosses aux manchots qui fendent l’eau comme des torpilles ;
une chorégraphie à terre aussi : de folles opérations logistiques, des combats entre gros morceaux de gras qui s’affrontent torse contre torse, dans un entrelacs de bourrelets (non, non ! ce ne sont pas des hivernants qui seraient devenus dingues, je parlais juste des éléphants de mer),  des manchots maladroits qui se dandinent sur le sable noir de cette île volcanique…
On en garde des images splendides : le Marion Dufresne, majestueux, qui stationne en fond de baie, déchargeant ses cales ventrues  pour soutenir des hivernants affamés, et simultanément, des papas manchots donnant la becquée au poussin et offrant ainsi une singulière mise en abîme !
Des paysages à couper le souffle, à la sauvagerie totale, où des montagnes pelées, battues par les vents, se découvrent à mesure que l’épaisse brume se dissipe ; des panaches blancs qui s’élèvent depuis le bord des falaises vers le ciel, qu’on prend pour des fumeroles volcaniques, alors que c’est l’œuvre du vent, qui renvoie les eaux de ruissellement vers les cieux et défie la gravité ! Des vallées qui blanchissent en un instant, saupoudrées après le passage de lourds nuages neigeux.
Des brouillards opaques  dégoulinant des montagnes en une seconde qui viennent couper en deux notre groupe de randonnée, étouffent nos cris, et signalent ainsi l’incongruité de notre présence ici.
J’ai ouvert grand mes yeux,
J’ai respiré profondément cet air humide et froid, parfois chargé des odeurs musquées de la manchotière,
j’ai tendu l’oreille pour me souvenir longtemps des mille cris d’oiseaux qui font de certaines plages un enfer sonore inimaginable dans lequel pourtant les oiseaux peuvent se localiser au mètre près.
J’ai agité mes bras pour me proposer comme aide sur les manipulations scientifiques des manchots royaux (baguage, installation d’appareil sur le dos des oiseaux, mesures des ailes, becs, pattes…),
 je me suis cramponné au siège de l’hélico quand le pilote a fait des cascades au-dessus du Marion, et me suis accroché de toutes mes forces à la ligne de vie du zodiac qui nous a ramené à bord quand le retour aéroporté a été annulé pour brouillard,
j’ai écouté attentivement les récits des hivernants, tout heureux de raconter à qqn d’extérieur la vie quotidienne au bout du monde, à 22, quand une maladresse peut devenir une blessure, quand un sourire déclenche un fou rire, quand une lettre relie au monde, quand un colis réjouis pour deux mois et demi, quand une amourette peut se changer en passion et quand aussi une fille (elles étaient 2 pendant l’hivernage à Crozet) qu’on aurait jamais remarqué dans la rue peut cristalliser les passions fougueuses de 20 mâles isolés et devenir ainsi en un instant une vraie princesse pour de longs mois.
Bref, un monde à part, qu’on arrive seulement à imaginer grossièrement quand on y reste deux jours, et qui peut tout à la fois fasciner et intriguer, apeurer ou faire rêver…
Notre petit monde flottant à nous a donc un peu changé : Philipe, le nouveau BibCro (plus besoin d’expliquer maintenant ?) y a été remplacé par Julien, son prédécesseur, quelques nouveaux Crozétiens ont débarqué, remplacés partiellement par ceux qui ont fini leur hivernage.
Après 3 jours d’escale, l’ancre a été remontée et le bateau fait route depuis ce soir 18h vers Kerguelen : nous avons donc longé pendant le dîner la côte sud de l’île de l’Est et nous enfonçons maintenant dans l’immensité froide et houleuse, cap à l’Est/Sud-Est !
Nous arriverons lundi 12 décembre à 3h00 du matin (heure locale) au large de Kerguelen : le jour sera en train de se lever (oui oui !) sur les falaises hostiles de cette ile grande comme la Corse !
En vous souhaitant une bonne nuit et un chouette WE…
Bien à vous.
Martin, 46°37 SUD  52°44 EST

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