jeudi 29 décembre 2011

BAIN DE SOLEIL A KERGUELEN mardi 13 décembre


 Baie de la table



 Mt Ross


Hier je me suis réveillé au cœur de l’archipel des Kerguelen. J’en fus presque surpris, ayant été un peu dépassé par  le déroulement inexorable de nos journées de mer ! Un peu après tout le monde, déjà en train de s’émerveiller du paysage, je déboule sur le pont E, et découvre enfin cette île qu’on dit Désolée : quel spectacle saisissant ! Le bateau se trouve au milieu de la baie de la Table, allusion à un immense rocher laminaire signalant l’entrée de la passe. Ce golfe est ceint par un défilé minéral de sommets enneigés, acérés, parfois séparés par un glacier scintillant de bleu, qui vient mourir près des eaux de notre mouillage. On aperçoit la calotte glaciaire de l’île, qui couvre plusieurs dizaines de kilomètres et forme un grand plateau lisse, servant de base commune aux massifs montagneux alentour. Le Marion s’est d’ailleurs arrêté ici pour héliporter 3 glaciologues qui vont s’y installer pour 3 semaines ; c’est l’occasion aussi d’aller ravitailler en touques plusieurs refuges installés au seuil de cet univers gelé.
En fin de matinée, le navire lève l’ancre pour mettre le cap sur le base de Port-aux-français : il s’agit donc de contourner l’île depuis sa partie sud/ouest jusqu’à la baie du Morbihan où se trouve la base, tout à l’Est ; ce petit tour a lieu dans le sens antihoraire et permet au passage d’admirer les pentes du Mont Ross qui s’offre à nous au gré d’une éclaircie bienvenue, au cours du déjeuner. Puis tout l’après-midi, le pont avant se remplit progressivement des futurs Kerguéléniens, hivernants ou campagnards d’été, excités et impatients à l’idée de découvrir leur nouveau monde pour 1, 3, 6 ou 12 mois. Ils ont fêté dignement leur dernière nuit sur le bateau, et l’agitation est aussi alimentée par une fatigue certaine. La côte sud est magnifique. On contemple une enfilade de falaises austères, désertiques, hostiles à la végétation, mais pourtant habitées de quantité d’oiseaux, attirés par les eaux poissonneuses. Nous croisons en effet à la frontière entre les eaux glacées de la mer polaire et les eaux chaudes du sud de l’océan indien ; aussi, il existe une vraie explosion de vie microscopique sous-marine, née d’une incroyable abondance de plancton, au départ d’une longue chaîne alimentaire, allant du krill aux orques, en passant par les mollusques, coquillages, poissons, otaries, manchots, baleines et j’en passe. Nous pouvons d’ailleurs apercevoir à la proue un spectacle aquatique proposé par une bande de gorfous sauteurs (dits « macaroni ») qui nagent dans la vague d’étrave du Marion, alternant courses sous-marines et sauts synchronisés : on dirait presque un ballet de petits dauphins à plumes ! La fin de journée est plus calme, les kerguéléniens ayant été rattrapés par la fatigue accumulée…On en profite pour passer une soirée très tranquille au bar, où la discussion s’oriente rapidement vers les motos anciennes, passion commune avec Patrick, un des plongeurs scientifiques à bord. Celui-ci habite d’ailleurs à Quimper, ce qui nous promet des virées motorisées sympas, au retour en métropole !
Aujourd’hui, je suis resté à bord pour assurer la permanence médicale car beaucoup de manœuvres ont lieu sur le pont ! Le bateau est tout vide…pffffuitt ! Les  150 personnes encore à bord il y a quelques heures se sont volatilisées : laissées à Crozet ou débarquées à Kerguelen ! A table aujourd’hui nous étions 10. On croirait la maison des grands-parents à la fin août : les couloirs sont vides, les chambres désertées, une couverture pliée à la hâte signalant un récent passage, une chaussette oubliée, une serviette encore froissée. Les personnes restantes à bord sont calmes, tranquilles, profitant de cette accalmie après des jours plus animés. L’ambiance change forcément un peu : l’atmosphère colonie de vacances flottante a disparu et laisse place à une certaine intimité, presque familiale : on profite de notre petit nombre pour déjeuner -encore- mieux : steak frites saignant et mousse au chocolat maison à midi, carpaccio de légines et agneau de Kerguelen ce soir ; le commandant offre sa tournée de vin blanc  et participe volontiers à la saine convivialité au sein de l’équipage (dont j’ai l’impression de commencer à faire partie).
Les opérations d’approvisionnement continuent, à grand renfort de grues, barge flottante, hélicoptère, manœuvres astucieuses, le tout précisément orchestré par les chefs logisticiens, rompus à ce genre d’exercices imposés. Cependant, depuis notre mouillage, on ne peut malheureusement rien distinguer de la probable agitation venant de la base, en partie cachée par le discret épaulement d’une colline vert sombre qui vient s’épuiser à fleur d’eau, offrant ainsi une certaine intimité au petit village de préfabriqués. On voit simplement l’hélicoptère plonger derrière ce rempart  naturel, puis revenir, délesté alors de quelques visiteurs ou d’un lourd ravitaillement. On peut tout juste imaginer quelle ambiance doit régner au cœur de la plus grande des petites cités françaises des terres australes : 120 irréductibles hivernants sont installées ici, parfois plus durant l’été austral, un peu moins au plus rude de l’hiver. Ils forment la communauté française la plus au sud du territoire, flirtant avec le 50° parallèle sud !
Le temps est presque irréel : le soleil radieux, le ciel limpide, le vent timide, l’eau cristalline et lisse ! On prend des bains de soleil sur le pont supérieur, qui nous offre alors l’un des plus magnifiques perchoir de lecture et d’observation : le paysage qui s’offre à nous est unique : la baie dans laquelle nous mouillons (le golfe du Morbihan)  est quasiment fermée, la passe étant très étroite : l’eau est donc aussi immobile que celle d’une grande mare, et le paysage terrestre occupe presque tout l’horizon : celui-ci est découpé par des pics escarpés, scintillant de leurs neiges éternelles, qui s’adoucissent parfois en montagnes moins hostiles voir en collines herbeuses ;  l’image déjà saisissante est encore amplifiée par son double à peine flou, renvoyé par les eaux calmes de la baie. Ce tableau qu’on pourrait croire surgi de la palette d’un peintre inspiré et réaliste est dominé par le mont Ross qui culmine à 1900 m environ. Il est fait d’à-pics rocailleux, d’empilements laminaires abrupts, de blocs de glace et de neiges accrochés à ces parois vertigineuses. La grande dalle rocheuse et verticale qui forme son versant sud semble surgir directement du golfe et rend plus grande encore l’impression de hauteur. Son ascension a été accomplie plusieurs fois déjà, y compris par des alpinistes français, et mon esprit semble ajouter insidieusement son nom à la liste des aventures à concrétiser un jour…
Demain , j’aurai la chance de grimper à mon tour à bord de l’hélicoptère, qui nous déposera au lieu-dit « Le laboureur », pour une journée de rando en compagnie de Luc et de 5 touristes, avec lesquels nous passerons ensuite la nuit en cabane…Ca s’annonce magnifique !
Je vous embrasse.
Martin, 49°21 SUD 70°12 EST

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